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Histoires et Lieux d'Alsace

Les sorcières de BERGHEIM

Les sorcières de BERGHEIM

             Les 16ème et 17ème siècles sont bien la pire période de l’histoire de la plaine d’Alsace. Comme si tous les malheurs ne suffisaient pas, les hommes qui administrent ce pauvre pays se laissent entraîner dans de curieuses et affreuses procédures inquisitoires.

             Le massacre des paysans en 1525, les guerres et les constants passages de mercenaires, la misère et les calamités qui s’abattent sur les populations ont pu faire croire à ces dernières en une intervention maléfique, celle du « Diable » et sa représentante, la sorcière. Pourquoi invente-t-on la sorcière ? On connaissait le Diable mais la sorcière ? Le Diable, on ne le voit jamais ! Tandis que la sorcière, elle se cache parmi nous. C’est donc forcément elle, la cause de tous nos maux !

             Cette chasse « européenne » est au départ « codifiée » par les papes pour réprimer les hérétiques qui menacent l’existence de l’Eglise catholique et leurs richesses. Le pape Innocent IV a ainsi reconnu dans une bulle en 1252 la torture comme un moyen légal d’obtenir des aveux d’un accusé. Vers 1326, le pape Jean XXII rédige la bulle « Super Illius Specula », qui définit la sorcellerie comme une hérésie. Innocent VIII (encore un Innocent !) déclenche véritablement la chasse aux sorcières     « les Hexen » par sa bulle de 1484. 

             Heinrich Kramer de Sélestat, inquisiteur pontifical, et Jacob Sprenger, dominicain à Bâle, se sentent pousser des ailes et rédigent en 1486 à Strasbourg le « Marteau des sorcières » (le Malleus Maleficarum) qui est publié à 30000 exemplaires. Ce livre affirme "que les femmes, à cause de leur faiblesse et de l’infériorité de leur intelligence, seraient par nature prédisposées à céder aux tentations de Satan. Il explique ensuite comment procéder à la capture, instruire le procès, organiser la détention et l’élimination des sorcières. Les auteurs affirment que les indiscrétions et la rumeur publique sont suffisantes pour conduire une personne devant les tribunaux et qu’une défense trop véhémente d’un avocat prouve que celui-ci est ensorcelé. Le manuel rassure le lecteur sur le fait que les juges, en tant que représentants de Dieu, sont immunisés contre le pouvoir des sorcières. Il est consacré aussi aux techniques d’extorsion des confessions, des preuves et à la pratique de la torture durant les interrogatoires : Il est en particulier recommandé d’utiliser le fer rougi au feu pour le rasage du corps en son entier des accusées, afin de trouver la fameuse « marque du Diable », qui prouverait leur supposée culpabilité"

             Ce livre effarant est révélateur de la nature perverse de l’homme et va déclencher une véritable folie meurtrière. Pour comprendre un peu le phénomène, il faut se rappeler que l’Alsace et l'Allemagne sont alors une mosaïque de petites seigneuries et donc autant de juridictions indépendantes pour juger les affaires courantes. Tous ces petits juges ont donc plein pouvoir pour condamner celles qu’on leur amène sur un plateau. Car c’est une vraie cabale contre celles qui dérangent ou celles qui ont « fauté » !

             Les inquisiteurs de tous poil peuvent facilement condamner les malheureuses qui ont avoué sous les pires tortures à être brûlées vives car leur crime est l’apostasie, l’abandon de la foi « chrétienne ». Le crime étant considéré comme de lèse-divinité, le feu, comme l’ont affirmé les papes catholiques, est alors la seule sentence possible. Quelle folie !

Les sorcières de BERGHEIMLes sorcières de BERGHEIMLes sorcières de BERGHEIM
Les sorcières de BERGHEIMLes sorcières de BERGHEIM

             Bergheim est une petite cité bien à l'abri derrière ses murailles entre Colmar et Sélestat. Tellement bien protégée que ceux qui gouvernent alors et qui représentent leur seigneur, les Habsbourg d'Autriche, se sentent libres de réprimer dans le sang, ce qui leur semble être des troubles à l'ordre public. Ils ne sont pas les premiers, loin de là, car à Colmar, tout proche, déjà entre 1570 et 1572, 46 femmes ont été brûlées vives pour sorcellerie !!!

             Le premier procès de sorcellerie à Bergheim a lieu en 1582. La pauvre Marguerite Möwel qui a eu un enfant hors mariage (!) vit en célibataire repliée sur elle-même (mauvais présage !). Déjà âgée, elle est accusée par trois conseillers d'avoir commis des maléfices ! La malheureuse subit alors l'épreuve de l'estrapade, où elle est suspendue par les bras à une poulie alors qu'on lui attache de gros boulets en pierre aux pieds. Pour faire cesser l'abominable torture, Marguerite avoue avoir batifolé avec le Diable nommé Rolland. Elle est impitoyablement condamnée et amenée le 29 mai sur son lieu d'exécution, à 1 km, sur le chemin des bestiaux vers Sélestat, suivie de toute la population du village qui veut assister au spectacle. La malheureuse est attachée à un poteau entouré de fagots de bois auxquels le bourreau venu de Colmar met le feu et ses aides attisent le bûcher jusqu'à ce que le corps de la victime soit calciné !

             Dans l'année qui suit une paysanne est violemment violée dans un champ. On attrape le violeur qui reconnait le viol et explique simplement qu'il avait trouvé la femme "jolie" et qu'il n'en était pas à son coup d'essai. Et si c'était notre diable de Rolland ?

             Quatre ans plus tard, des rumeurs dénoncent les conduites étranges de 7 femmes !! Le bailli Brombach nommé par les Habsbourg a tous les pouvoirs et les fait toutes jeter en prison dans la tour réservée à cet effet (devenue aujourd'hui la maison des sorcières).

             Anna Wickenzipfel, mariée, connaissait certaines médecines qu'elle employait pour guérir des voisins malades. Or, un de ses voisins, Jacques Potter, guéri, prétend que c'est elle qui lui a insufflé le mal à l'aide d'un coup de baguette ! (on va retrouver cette baguette dans énormément de cas !) Anna raconte alors sans qu'on l'y oblige une drôle d'histoire. L'année précédente, un inconnu « vêtu et coiffé de noir » s'est présenté à elle alors qu'elle travaillait dans les vignes et lui tint ce langage : « Si tu me suis, tu n'auras plus besoin de faire ce dur travail ». « Tu n'as rien de bon à m'apprendre », lui répondit-elle. Là-dessus il exigea qu'elle se donne à lui et la pousse violemment au sol. Elle voulut crier mais il lui ferma la bouche et abusa d'elle. Elle s'aperçut qu'il n'était pas un homme normal car son contact était glacial ! « Je suis un charlatan et m'appelle Kochlöffel (cuillère à pot) ; je te donne en cadeau ce petit sac avec des thalers (euros de l'époque) mais tu dois dorénavant renier ton Dieu, ta digne mère et me servir ». Revenue chez elle, Anna ne trouve dans le petit sac que du crottin de cheval ! (cette histoire de crottin va également revenir souvent). Trois jours plus tard, le Malin revint dans le vignoble et lui donna une baguette blanche : « Si quelqu'un te fait du mal, tu n'auras qu'à le frapper de cette baguette en invoquant mon nom et la personne sera frappée de paralysie ». C'est donc avec cette baguette qu'Anna a frappé Jacques Potter car elle voulait se venger parce qu'il lui avait tué une poule d'un coup de fusil. Elle raconte ensuite que la baguette lui sert également  de monture pour se rendre à des réunions de sorcières sur le Langenberg près de Saint-Hippolyte. 
             Le jour du procès, on juge également Barbara, une vieille couturière boiteuse. On l'accuse de sorcellerie, mais comme elle affirmait son innocence, on l'a remise entre les mains du bourreau qui, sans peine, obtient tous les aveux souhaités. Elle aurait commis un adultère avec un certain Hemerlé, lui aussi « tout froid », qui lui avait donné un pli renfermant 10 florins (1000 euros) qui s'avère être du crottin de cheval !! Elle avoue qu'Hemerlé, son amant, était le Diable et lui a aussi donné une chose pour se venger de ses ennemis qu'elle ajoutait à la lessive du village. Elle ajouta qu'une nuit elle participa à une noce diabolique au pied du château de Reichenfeld ! Une témoin confirme que Barbara était venue à cette noce par voie aérienne montée sur une truie rouge ! Le 28 juin 1586, Anna et Barbara furent conduites au lieu du supplice et brûlées vives.

             13 jours plus tard, le 11 juillet, Barbara Wagner fut également brûlée. Elle était la « petite rose » de Bergheim (la petite amie des messieurs) et a une réputation de sorcière à qui on a imputé, il y a quelques années, la responsabilité d'un ouragan qui avait détruit les récoltes. Le Bailli Brombach décide de s'occuper de son cas et la livre au bourreau qui lui soutire les mêmes aveux que les autres femmes : toujours un homme en noir qui lui promet de l'argent, cette fois-ci ce sont des ordures à la place du crottin de cheval ; celui-ci s'appelle Vollandt et lui a promis 100 florins si elle se donne à lui ! Lui aussi était « tout froid », lui donna une baguette ensorcelée et la fit s'envoler sur une truie ! Les 24 juges n'éprouvent apparemment aucun doute quant à sa culpabilité pour la condamner à mort.

             Le samedi 9 août 1586, la cour des Maléfices siège à nouveau pour juger 3 nouvelles accusées !
             Catharina Flöss, la femme du prévôt, qu'elle trompe sans ménagement est condamnée d'avance par l'opinion publique surtout quand elle admet, elle aussi, avoir été séduite par un démon nommé Peterlé qui lui a remis un sac rempli de crottin de cheval etc ..... etc .... (Son mari prévôt ne fera rien pour la sauver et se partagera même ses biens avec la ville !)
             Marguerite Schäffer et Véronique Kirin toutes deux dans la misère, racontent sous l'effet de la torture la même histoire de l'inconnu  « tout froid » qui abuse d'elles et à qui elles ne peuvent résister. Véronique implore les juges de clémence « n'ayant fait de mal à aucune personne humaine ». En vain, elles sont toutes les trois brûlées vives le jour même.

             La même année, une autre Anna succomba sous la torture des 7 enquêteurs et n'aura pas à affronter le feu.

             Et ce n'est que le début du massacre ! Ce qui apparaît comme incroyable et ahurissant, c'est la connotation sexuelle qui semble être le lien entre la plupart des affaires et une haine des femmes qui ne sont pas conformes à l’image que la religion catholique exige. Même si on peut penser que quelques-unes de ces femmes avaient de réels penchants pour les séances occultes, cela ne peut expliquer le cynisme, la cruauté et la perversion de tous ces inquisiteurs issus du peuple. (Tout cela conforte la pensée que l'Homme est capable de tout, même l'inimaginable !)

Texte écrit par Edmond Bapst dans "Les sorcières de Bergheim" paru en 1929, d'après les Archives de la ville de Bergheim.
 

             Même le grand Charles-Quint en rajoute une couche, en 1532, en prescrivant dans « La Carolina », le code criminel commun aux terres du Saint Empire romain germanique, sous le titre "la punition du sortilège" : « que celui qui aura dommagé à quelqu'un par sortilège, sera puni de mort, et la punition sera celle du feu". 
             Dès lors, les poursuites enclenchées ne connaissent plus de limites. Plus de 200 000 femmes, hommes et enfants sont poursuivis dans toute l’Europe, principalement germanique et la moitié meurt sur le bûcher, officiellement, pour avoir trahi Dieu ! Le Saint Empire germanique est ainsi surnommé la « terre des bûchers ».
             Les motivations sont multiples. On accuse aussi bien par méchanceté ou par jalousie, que pour une question d’argent ou pour se débarrasser d’une gêneuse. On accuse de sorcellerie de pauvres femmes qui vendent leurs corps car elles n’ont rien d’autre pour survivre. En fait, très vite, tout devient suspect, connaitre les plantes qui soignent, manquer la messe, se promener un peu tard dans la journée, ou encore avoir un chat, se parler à soi-même, posséder des fioles. Et pire : tout le monde se dénonce…
             Beaucoup d’hommes en profitent pour « se débarrasser » d’épouses ou d’amantes encombrantes, ou pour empêcher la vengeance de celles qu’ils avaient séduites ou violées ou simplement pour se venger de celles qui s’étaient refusées à eux !
            Les accusateurs n’hésitent pas à entreprendre des procédures effroyables qui n’ont qu’un seul objectif : la mise à mort sans procès équitable avec des tortures quasi systématiques !

             Ce qui est inimaginable, c’est que ce sont les Habsbourg d’Autriche qui sont directement responsables de cette "flambée" !! Le duc Maximilien qui gère les territoires d’Alsace depuis Innsbrück trouve qu’à Bergheim les baillis sont trop mous. Il nomme Jean-Jacques d’Offenbourg qui condamne 4 femmes à mort pour sorcellerie en 1618. Mais n’ayant peut-être pas envie de lier son nom à l’histoire macabre de la petite ville, il ne bouge plus jusqu’en 1627 où il est démis de ses fonctions. C’est l’archiduc Léopold-Guillaume de Habsbourg, évêque de Strasbourg depuis 1607, qui nomme un autrichien, Jean-Christophe Prosinger comme bailli avec la mission d’accentuer sa lutte contre les sorcières. C’est ainsi, qu’entre 1627 et 1630, il y eut, pour la seule ville de Bergheim, 22 femmes arrêtées, souvent des filles ou petites filles de femmes précédemment condamnées ! Anna Pferzler, déjà veuve pour la 2ème fois, fut atrocement torturée bien qu’innocente. Les enquêteurs inventèrent des charges qu’elle ne put confirmer. Même dans les pires souffrances, elle ne cessait de répéter : « Angedeutet dass sie es gern sagen wollte, könne es aber nit » (J’aimerai bien parler, mais ne le peut) ». Elle mourra sous la torture, les 21 autres auront droit à une peine de mort adoucie puisqu’elles seront brûlées après avoir été décapitées ! 
             On retrouve le même Habsbourg, le fameux Léopold-Guillaume, l’évêque de Strasbourg, (qui n’a jamais été prêtre) dont le frère, l’empereur Ferdinand II est à l’origine de la guerre de Trente ans, donner par lettre l’ordre à ses représentants à Molsheim d’éradiquer totalement la sorcellerie ! Il porte donc directement la responsabilité de la mort de 102 femmes, 11 hommes et 33 enfants entre 1620 et 1630. C’est invraisemblable ! C’est ainsi qu’en 1629 au collège des jésuites, le petit Michel Hammerer âgé de 9 ans avoue sous la torture, avoir pactisé avec le Diable. Il dénonce 12 copains et 5 fillettes qu’on décapite au fil de l’épée avant de les brûler ! Un an après, entre avril et juin 1630, 9 adultes et 26 autres enfants de 8 à 16 ans sont encore exécutés ! On raconte que l’évêque finance ainsi avec l’argent récupéré la construction de la nouvelle église des Jésuites, ceux-ci étant d’ailleurs chargés de préparer les condamnés à la mort ! 

 

L'évêque diocésain de Strasbourg, Léopold-Guillaume de Habsbourg

L'évêque diocésain de Strasbourg, Léopold-Guillaume de Habsbourg

              On estime que près de 5 000 personnes, dont 80% de femmes, ont été suspectées de sorcellerie en Alsace, sur une centaine d’années seulement et dont plus de la moitié sera exécutée. C’est entre 1620 et 1630, en pleine guerre de Trente ans, qu’ont lieu 40% des exécutions en Alsace. 35 autres femmes mourront ainsi à Bergheim, 70 à Molsheim, 91 personnes condamnées au bûcher à Sélestat entre 1629 et 1642.

             Les archives des villages où sont réalisés ces procès par les notables qui se font payer pour leur « travail » sont édifiantes !

             Entre 1614 et 1642, 64 cas de sorcellerie sont recensés à Saverne (dont l’évêque Léopold est encore le seigneur). Trente de ces cas se terminent par une exécution capitale, le plus souvent sur le bûcher. Les enfants ne sont pas épargnés. On trouve parmi les victimes de ces procès un garçon de 9 ans, Philippe Schramm, qui avoue et est exécuté avec ses 6 complices âgés de 9 à 16 ans.

             Le prince de Würzburg a fait brûler 800 sorciers et sorcières dans le Sundgau et à Brisgau, selon Auguste Stober, mais finit lui aussi par être désigné comme “archi-sorcier” et inculpé.

            Il est incompréhensible que les grands penseurs humanistes de l’époque ne s’élèvent pas contre ce funeste mouvement. C’est finalement Louis XIV qui, sur la demande de son ministre Louvois, met fin à cette folie meurtrière en interdisant les jugements de crimes de sorcellerie en 1682. 

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