27 Avril 2020
Voici l’histoire d’un des plus grands personnages du moyen-âge adulé ou haï par ses contemporains et méconnu de nos jours du grand-public. Ce garçon va avoir une vie encore plus extraordinaire que ses grands-pères car il est l’héritier de deux dynasties : les Hohenstaufen, empereurs du Saint-Empire Germanique depuis deux générations, et les normands Hauteville qui, en 1130, avaient créé en Italie méridionale le royaume de Naples et de Sicile. Mais, malgré sa personnalité hors du commun, son trop grand orgueil et des papes qui se voulaient les maîtres du monde vont faire perdre à sa famille son extraordinaire héritage.
A la noël 1194, Constance, l’impératrice du Saint-Empire Germanique est en route pour la Sicile et s’arrête à Jési près d’Ancone sur la côte adriatique. Henri VI, l’empereur, a exigé que sa femme, bien qu’enceinte, le rejoigne au plus vite car il vient de conquérir l’île et de se faire couronner Roi de Sicile. Elle est heureuse de retourner dans son pays où elle a grandi à la cour normande des Hauteville, les rois de Sicile. Son neveu étant décédé sans enfants, elle est la seule descendante directe de Roger II de Sicile. Henri VI s’approprie le trône en vertu des droits de sa femme et massacre tous ses opposants.
Le 26 décembre, elle sent qu’elle ne peut aller plus loin et fait dresser une tente sur la place centrale de Jési. Elle a décidé d’accoucher en public pour qu'il n'y ait pas de contestation future sur la paternité de l'enfant. Mais l’accouchement se passe mal et leur destin a failli s’arrêter là. Heureusement deux médecins arabes sauvent la mère et l’enfant.
Henri VI le cruel, fils de l’empereur Frédéric Barberousse, est à 30 ans au sommet de sa gloire. Son empire est immense. Il vient de conquérir le royaume de Naples et Sicile et rêve d’étendre encore son empire vers celui de Constantinople. Il appelle à une nouvelle croisade et envoie une armée de 20 000 allemands à Acre. Une nouvelle révolte éclatant en Sicile, Henri est obligé de retarder son départ et va réprimer dans le sang la révolte. Mais, en septembre 1197, il meurt soudainement ! (on ne sait pas de quoi).
Le petit Frédéric n’a que trois ans, Constance le fait immédiatement couronner, Roi de Sicile, en mai 1198 et demande au Pape Innocent III d’être le tuteur de l’enfant car elle hait les allemands et, peut-être plus raisonnable que les hommes, ne veut pas qu’il hérite de cet empire qui n’apporte que malheurs.
Malheureusement, Constance décède le 27 novembre 1198 ! Pour protéger son petit garçon de 4 ans et son royaume si fragile, elle donne dans son testament la régence au Pape Innocent III qui accepte et prend d’autant mieux cette charge au sérieux qu’il ne veut pas de la réunion des deux empires pour pouvoir mieux les contrôler.
Frédéric grandit donc à Palerme éduqué par des capitaines allemands qui revendiquent eux-aussi la régence du royaume. On lui apprend le métier de chevalier. A 7 ans, il s’enfuit et vagabonde un temps à Palerme. Il apprend à se battre et est très tôt conscient de son rang. Très intelligent et doté d’une extraordinaire force de caractère, il étonne rapidement tous ceux qui le côtoient. Il est très autoritaire mais fait preuve d’une grande ouverture et tolérance envers les différentes cultures.
Le Palais royal de Palerme
Innocent III, le pape, lui fait épouser à quatorze ans, Constance, la fille du roi d’Aragon et de Provence qui en a 25. Elle amène cinq cents chevaliers aragonais et leurs suites avec elle, ce qui donne au jeune homme les manières raffinées dont il a besoin. En 1208, le pape le déclare majeur. Frédéric en profite pour renvoyer le chancelier de son père. En Sicile c’est un peu l’anarchie. Après 20 ans sans véritable dirigeant, les seigneurs siciliens et calabrais font ce qu’ils veulent. Le trésor royal est vide. Philippe décide, depuis Palerme, de restaurer son autorité et de retrouver l’éclat de la cour de son grand-père Roger II. Il constitue une armée permanente rémunérée et met au pas les seigneurs locaux.
La même année, en Germanie, son oncle, Philippe de Souabe, successeur de son père est assassiné. Trois ans plus tard, le pape Innocent III pour mettre un terme aux luttes pour le pouvoir dans l’empire germanique, se prononce pour son pupille lors de la Diète d’empire à Nuremberg. Frédéric, qui n’a que 16 ans, accepte contre l’avis de son épouse l’élection des princes allemands. Au lieu de l'écouter, il décide d'aller chercher lui-même sa couronne. Il prend une escorte de 300 chevaliers siciliens, échappe à la flotte des Pisans pour rejoindre Gênes depuis Rome, franchit la rivière du Lambro en catastrophe devant l’armée milanaise, traverse les Alpes par le col de Trento dans des conditions difficiles et arrive à Constance avant Otton IV de Brunswick, qui s’était autoproclamé empereur mais dont le pape ne voulait pas ! L’évêque de Constance en acceptant de lui ouvrir les portes de la ville va permettre à Frédéric de monter les marches vers le trône de Charlemagne.
Frédéric arrive ensuite en Alsace, le berceau de sa famille, où il est acclamé, l’histoire de sa chevauchée fantastique l’ayant précédé lui valant plus tard le surnom d’Empereur de légende. Il reçoit un accueil triomphal du comte de Habsbourg, l'évêque de Bâle.
Le nouvel empereur est beau et a l’apparence d’un César. Son regard fascine, captive et cloue sur place ceux qui le rencontrent. Il est blond comme ses ancêtres mais a le teint hâlé comme sa mère.
Confirmé comme roi par une grande assemblée des princes de Souabe et de Haute Rhénanie à Francfort le 5 décembre 1212, il est couronné en la cathédrale de Mayence le 9 décembre par l'archevêque d'Epstein, avec une copie des insignes, encore détenus par Othon IV, l’empereur excommunié. Ce dernier est battu à Bouvines par le roi de France Philippe II qui renvoie le trésor et les insignes impériaux à Frédéric qui est, de fait, reconnu par tous les rois et princes. Frédéric II est ensuite sacré roi des Romains le 23 juillet 1215 par l'archevêque de Mayence en la cathédrale d'Aix-la-Chapelle (il a 21 ans !).
Le pape craignant une réunion entre l’empire germanique et le royaume de Sicile, Frédéric promet de renoncer à la couronne de Sicile au profit de son premier fils Henri II de Souabe (né en 1211). Mais quand le petit Henri arrive avec sa mère, Frédéric change d’avis et le nomme Duc de Souabe
Frédéric aime l'Alsace "la plus chère de mes possessions familiales". Il y réside souvent entre 1212 et 1220. Il nomme comme bailli impérial, Albin Woelfelin (le maire de Haguenau) qui gère pendant 20 ans d’une main ferme mais personnelle le patrimoine des Hohenstaufen. Frédéric va créer une dizaine de villes, Kaysersberg, Colmar, Mulhouse, Sélestat, Rosheim, Obernai, les entourer de murailles pour protéger ses terres et maintenir les seigneurs locaux dans leurs châteaux. Il fait également construire le château de Pflixbourg et le nouveau Guirbaden. Ce fut une période riche car l’Alsace dispose de bonnes terres, de forêts gorgées de gibiers, d’un commerce de plus en plus important et de bons vins.
quelques cervidés de nos forêts par Loan Schwab
Mais Frédéric II veut avant tout retourner dans ce qui est « la prunelle de ses yeux », l’Italie. Il fait élire son fils Henri, roi des Romains (de Germanie) tout en conservant le titre d’empereur. En fait, Frédéric veut gouverner seul ses immenses possessions en vertu de ses droits héréditaires. Il laisse donc en Allemagne son fils Henri VII (8 ans), sous la tutelle de l’archevêque de Cologne chargé de gérer les luttes entre tous les princes (7 ducs, 3 archevêques et une centaine d’évêques et grands abbés). En réalité, cet empire, trop morcelé, est ingérable et on se demande pourquoi ce titre était autant convoité.
En août 1220, Frédéric rentre donc en Italie, passe voir le pape à Rome pour être couronné empereur par Honorius III. À la fin de la cérémonie l’empereur renouvelle son vœu de croisade qu’il avait dû promettre en échange de sa couronne.
Dès 1223, Frédéric commence la construction d’un château impérial à Foggia près de Lucéra dans les Pouilles. Il fait ensuite construire plus de 200 « castra » et « domus » qu’on appelle souabe mais qui ressemblent plus à des « castrum romain » comme Manfredonia, Trani en Apulie ou Augusta, Milazzo, Syracuse, Catane en Sicile. Ces châteaux ne sont pas destinés à héberger des nobles avec leur famille mais constituent un système défensif où il installe des garnisons chargées de garantir l’ordre dans son royaume. Il trace parfois les plans, comme le Castel del Monte près de Bari. Pour régler les révoltes des musulmans, il les déporte tous à Lucera et leur propose d’être sa garde personnelle et de constituer une armée d’élite.
En 1224, Frédéric fonde l’université de Naples chargée de la formation des futurs fonctionnaires. Les maîtres sont choisis et rémunérés par lui et s’illustrent vite par l’excellence de leur enseignement dans toutes les matières. Frédéric créera également l’université de Bologne dont la charte précise : « les bienfaits qu’apporte l’étude entraînent à leur suite noblesse et possessions matérielles et font fleurir l’affection et la grâce de l’amitié ».
L’Empereur se déplace de château en château pour assurer son autorité où pour réunir l’armée et aller régler les conflits. Le jeune empereur donne des fêtes somptueuses et marque les esprits par la splendeur raffinée de sa cour. Celle-ci est une copie des cours perses avec leur éclat et leur faste. Il parle au moins 6 langues : le latin, le grec, le sicilien, le normand, le provençal et l’allemand. Il accueille des savants et des poètes du monde entier à sa cour, porte un grand intérêt aux mathématiques, à l’astronomie, à la philosophie et aux beaux-arts, se livre à des expériences scientifiques et à l’astrologie. Il promeut la poésie en dialecte populaire sicilo-apulien qui se répand rapidement dans toute l’Italie et qui donnera, bien plus tard, naissance à la langue italienne. Sa passion est la chasse, il a d’ailleurs écrit un traité sur la chasse au faucon.
Evidemment, son plus grand ennemi reste le Pape qui se retrouve coincé dans son petit territoire et qui ne peut pas rester les bras croisés. On en n’est plus à la querelle des investitures qu'avait initié notre pape alsacien, mais bien à une lutte pour la dominance du monde.
Le castel del Monte dans les Pouilles
En 1225, Frédéric épouse Yolande de Brienne, âgée de quatorze ans, fille du roi de Jérusalem (sa femme Constance est morte en 1222 à Catane) à Brindisi. Aussitôt après les noces, Frédéric prend lui-même le titre de roi de Jérusalem, anticipant (peut-être) le décès futur de son beau-père !
En août 1227, Frédéric se rend bien à Brindisi pour le départ de la croisade. Mais une épidémie se déclare parmi les croisés et les pèlerins ; Frédéric lui-même tombe malade et l’expédition est aussitôt interrompue. Grégoire IX, interprétant la maladie comme un prétexte excommunie l’empereur. Ce qui à l’époque représentait même pour un roi un risque majeur. Frédéric II s’embarque finalement en juin 1228 pour rejoindre Saint-Jean d’Acre. 50 vaisseaux quitte Brindisi toutes voiles dehors aux cris de : « Dieu le veut, Dieu le veut ».
En Terre sainte, les chrétiens, le patriarche de Jérusalem et la plupart des ordres chevaleresques refusent à Fréderic leur aide à cause de son excommunication. Celui-ci a alors l’idée de recourir à la diplomatie. Il rencontre et gagne la confiance du sultan d’Égypte Malik al-Khamîl. Les deux hommes discutent longuement de leurs idéaux respectifs. Ils se rendent compte qu’ils rêvent tous les deux d’un empire et d’une paix universels. Ils font faire des concours de mathématiques entre leurs différents spécialistes ! Du jamais vu ! Les deux hommes deviennent amis et réalisent même un simulacre de bataille ! Pour sceller leur réelle amitié, Frédéric (33 ans) et Malik (50 ans) concluent un traité prévoyant une trêve de dix ans, la restitution de Jérusalem aux Chrétiens et un couloir d’accès à Jaffa. Incroyable quand on sait les milliers de morts qu’ont coûté chaque croisade ! Frédéric a réalisé son rêve et rempli ses objectifs sans verser une goutte de sang !
Philippe n’en reste pas moins un homme et écrit des poèmes comme celui-ci :
"Malheur à moi, car ne pouvais savoir
Quelle douleur me coûterait
De me séparer de ma dame.
A peine eus-je quitté ma belle
Que seule la mort m’a paru désirable.
Croyant qu’elle me suivait de près,
Jamais je n’ai souffert comme au moment
Où, derrière mon vaisseau, la côte disparut,
L’emportant avec elle. Je crus vraiment
Qu’il me faudrait mourir
Si ne retournais promptement au port.
Ce que je vis en maints pays lointains
Ne put m’arracher au chagrin.
Et si fort m’étreignent
Les chaînes du désir
Que n’ai d’espace où reposer
En sorte qu’en nul lieu
Ne puis trouver la paix.
A une fleur de Syrie, Frédéric II de Hohenstaufen"
Avant de repartir, Frédéric fait couronner son fils Conrad (qui a 1 an), roi de Jérusalem et y établit une régence ! Evidemment le Pape Grégoire est fou et ne décolère pas. Une croisade sans avoir tué un seul musulman !! Il l’excommunie une deuxième fois et décide d’organiser l’élection d’un autre empereur anti-souabe en Allemagne. L’armée pontificale envahit les terres de Frédéric. Frédéric retourne à la hâte en Italie pour reprendre en main ses territoires. La reconquête s’accompagne de procès contre les cités traîtres. Le bras de fer devient irréductible.
Frédéric organise l’Italie comme un Etat moderne et centralisé. Il fait rédiger en 1231, les constitutions de Melfi connu sous le nom de « Liber Augustalis », un recueil de lois qui doivent unifier les lois de l'Empire, soumis aux multiples droits régaliens que possédaient les princes et autres seigneurs du Saint-Empire. Ces lois doivent surtout empêcher la mainmise des petits seigneurs sur les villes et leurs corps de métiers.
Il y écrit notamment : « La Sicile doit être un miroir de ressemblance pour ceux qui la considèrent avec étonnement, un objet d’envie pour les princes, un paragon pour les royaumes ». Ce texte est le plus grand code depuis l'empereur Justinien et influencera les monarchies absolues ultérieures. « L’empereur est l’unique source du droit et occupe la plus haute place sur le trône de la justice ; il pèse le droit de chacun, avec la balance de la Justice. Chaque individu a droit à en appeler à l’empereur qui juge en son tribunal. Celui qui offense ce principe outrage l’empereur lui-même ». Ce code est tellement riche qu’il sera utilisé jusqu’au 18ème siècle. Il impose par exemple une uniformisation des poids et des mesures, réglemente la fonction de médecin, prône la nécessité de ne pas contaminer l’air et l’eau….
Il réalise une introduction étonnante pour l'époque : « Pour ce désir de savoir que tous les hommes ont naturellement, pour cette joie particulière où certains dérivent, avant même d’assumer l’obligation de régner depuis notre jeunesse, nous avons toujours cherché la connaissance, nous avons toujours aimé la beauté et toujours inlassablement respiré son parfum. Après avoir assumé l’organisation du royaume, nous ne supportons pas de passer à l’inaction … et consacrons ces moments à l’exercice de la lecture pour que l’intellect se fortifie dans l’acquisition de la science sans laquelle la vie des mortels ne peut être dignement considéré comme celle d’hommes libres. Et nous, nous revenons aux pages des livres écrits en de nombreux caractères et de nombreuses langues qui enrichissent nos armoires dans lesquelles les choses les plus précieuses sont conservées ».
Il crée des monopoles pour contrôler l’économie du royaume : monopole du sel, du fer, celui de la soie est accordé aux grecs de Palerme, celui du commerce aux juifs. Il introduit des taxes douanières en vigueur chez les Arabes et fait frapper des monnaies d'or, les « augustales ». Sur l'une des faces, entourée de l'inscription IMP. ROM. CÆSAR AUG, il est représenté avec une couronne de laurier sur la tête. Sur l'autre face, figurait l'aigle impériale avec l'inscription Fridericus. Bien sûr, l’Empereur reste le premier propriétaire foncier, premier producteur de céréales, premier éleveur de mouton. Il fait planter partout de la canne à sucre, du henné ou des dattiers. Il interdit aux filles siciliennes d’épouser des étrangers. Toute son énergie vise à créer un royaume idéal.
Il nomme des justiciaires-gouverneurs des provinces qui rendent, en son nom, la justice tous les jours gratuitement. Frédéric rend lui-même la justice aux endroits où il se trouve. Il nomme encore des baillis royaux pour gérer l’administration des villes. Frédéric privilégie la primauté de l’intérêt public sur les intérêts privés, ce qui est extrêmement nouveau. Il estime détenir son pouvoir directement de Dieu et non des Papes et se considère l’héritier des empereurs romains. Il se construit une image sacrée car il est convaincu d’être responsable de l’ordre du monde selon la loi de la Nature.
En 1225, quand Henri VII, le fils de Frédéric, roi des Romains, accède réellement au pouvoir à quatorze ans, il choisit de ne plus écouter ses tuteurs ni son père et se plonge dans la débauche. Il n’a d’égards que pour ceux qui le flattent et devient le pantin de tous les ambitieux qui tournaient, comme des frelons, autour de lui.
En 1234, Henri a 24 ans et se sent maître de son destin. Il se révolte contre son père, l'empereur, influencé par l'évêque de Strasbourg, Berthold de Teck, entraînant aussi les nobles d'Alsace. Frédéric arrive en hâte sur le Rhin en 1235 et la révolte tourne court. Berthold tombe en disgrâce et la ville de Strasbourg est placée sous immédiateté de l’empire, ce qui soulage les habitants… Frédéric fait enfermer son fils au château de San Felice dans les pouilles. Celui-ci préférera se donner la mort, en 1242, en sautant, lors d'un transfert de prison, avec son cheval d'une falaise. Frédéric fait également enfermer le bailli Woelflin qui s’est trop enrichi. Décidémment, on ne peut faire confiance à personne.
Lors de ce séjour, Frédéric éblouit les habitants d’Alsace par l’incroyable cortège qu’ils rencontrent le long des routes, précédé par un éléphant, suivi d’animaux jamais vus, des chameaux somptueusement décorés ainsi que des lions, des léopards, et des singes tenus en laisse ... suivi de sa cour avec sa garde sarrasine personnelle, ses savants orientaux de Palerme, des danseuses sarrasines, ses oiseaux pour la chasse, aigles ou faucons … Frédéric en véritable homme-dieu chevauche à la tête du cortège dans un décor digne des Mille et une Nuits !
En juillet 1235, Frédéric organise au château de Haguenau une fastueuse réception. Il se marie pour la troisième fois avec Isabelle, 18 ans, sœur d’Henri III d’Angleterre (celle-ci mourra en 1241 après avoir donné le jour à une fille).
En août 1235, il convoque une diète à Mayence qui est plus importante que celle que son grand-père avait organisé en 1184 avant son départ pour la 2ème croisade. 1300 princes et seigneurs viennent l’acclamer. Il promulgue un édit de paix perpétuel qui énonce les principes d’ordre et de justice basés sur le respect de l’autorité royale, le rétablissement de la paix et le maintien de la concorde en échange de la confirmation des concessions faites aux princes territoriaux. Ce texte, pendant germanique du Liber Augustalis, est considéré comme une loi fondamentale du Reich allemand.
Il passe l’hiver à Haguenau et lui confirme son statut de ville libre ainsi qu'à Strasbourg. En 1237, il est à Vienne et fonde l’université de Vienne.
Les villes lombardes profitent de son absence pour se révolter à nouveau toujours soutenu par le vilain pape. Frédéric, repasse les alpes en catastrophe et remporte, en novembre 1237, à Cortenuova une victoire éclatante. Il commet alors une erreur de jugement et offense définitivement le pape en renvoyant à Rome les emblèmes des Milanais battus. A partir de ce moment, ses soutiens populaires fondent comme neige au soleil car il apparaît maintenant comme un tyran.
A partir de 1239, Frédéric II ne quitte plus son royaume d’Italie où il est incontesté et réside au Castel Fiorentino près de Florence. Le pape Grégoire IX l’excommunie une 3ème fois et déverse sa haine dans des pamphlets où Frédéric est dénoncé comme l'Antéchrist.
En juin 1244, le nouveau pape Innocent IV veut la restitution de toutes les villes lombardes et demande à l’empereur l’hommage de Naples et de Sicile. Il s’enfuit de Rome, s’embarque à Civitavecchia à destination de Gênes puis rejoint Lyon où il organise un concile général.
Même l’ambassadeur d’Angleterre est outré et ose cette réplique : « Vous tirez, dit-il, par vos Italiens, plus de soixante mille marcs par an du royaume d’Angleterre ; vous taxez toutes nos églises ; vous excommuniez quiconque se plaint ; nous ne souffrirons pas plus longtemps de telles vexations. »
Mais la réaction du pape est terrible : « Je, Innocent IV, dis Frédéric convaincu de sacrilége et d’hérésie, excommunié, et déchu de l’empire. J’ordonne aux électeurs d’élire un autre empereur, et je me réserve la disposition du royaume de Sicile ».
Il déclare Frédéric coupable, parjure, sacrilège, briseur de paix et hérétique et le dépose en tant qu’empereur et roi de Germanie. Furieux, Frédéric II fait alors appel à la solidarité des princes européens mais n’obtient pas du tout le soutien attendu. En France, Louis IX (le futur Saint-Louis) a 30 ans et se laisse influencer par ce pape redoutable, jugeant peut-être son voisin trop puissant.
Frédéric envoie une lettre à tous les princes chrétiens : « Je ne suis pas le premier que le clergé ait aussi indignement traité, et je ne serai pas le dernier. Vous en êtes la cause, en obéissant à ces hypocrites dont vous connaissez l’ambition effrénée. Combien ne découvririez-vous pas d’infamies à Rome, qui font frémir la nature, etc… ! »
En 1249, l’empereur n’est plus en Italie que le chef d’un parti dans une guerre civile. Son fils Enzio, battu par les Bolonais, est fait prisonnier et son père ne peut pas obtenir sa liberté.
Le pape Innocent IV au concile de Lyon
En novembre 1250, l’empereur, âgé de 55 ans, est pris d’une maladie intestinale à Castel Fiorentino. En présence de nombreux dignitaires, le 7 décembre, il fait son testament et après avoir revêtu la robe blanche des cisterciens et reçu l’extrême-onction des mains de l’archevêque de Palerme, il meurt le 13 décembre 1250. Transportée dans la capitale sicilienne, sa dépouille est déposée dans la cathédrale dans un sarcophage de porphyre rouge que Frédéric avait fait placer là vingt ans auparavant. Il repose là à coté de ses parents, l’empereur Henri VI et la reine Constance ainsi que son grand-père maternel, le roi Roger II.
Son testament désigne Conrad, son deuxième fils, comme héritier de l’Empire et du royaume de Sicile, tandis que Manfred, fils naturel de Frédéric et de Bianca Lancia, doit assurer les fonctions de régent d’Italie. Rien ne va pourtant se passer comme il l’a prévu car la haine des papes à son égard va rejaillir sur toute sa famille. Le pape Innocent IV proclame la déchéance à jamais de la famille Hohenstaufen en déclarant “ il faut extirper son nom et son corps, sa semence et sa progéniture ” !
Pour maintenir leur puissance et leur autorité sur le monde chrétien, les papes vont donner le royaume de Naples et de Sicile à Charles d’Anjou (le frère de Saint Louis) à la condition que celui-ci extermine jusqu’au dernier les Hohenstaufen. Effectivement, Conrad meurt en 1254, le roi Enzio est enfermé à vie à Parme et son petit-fils Conradin est décapité à 16 ans à Naples en 1268.
Avec ce dernier disparaît pour toujours le nom des Hohenstaufen mais aussi le duché de Souabe ainsi que tous leurs biens terrestres. Frédéric II de Hohenstaufen aura finalement été vaincu par ces papes qui voulaient commander les rois.
Frédéric est sans conteste l’un des hommes politiques le plus marquant du moyen-âge. Sa personnalité hors du commun lui a valu les surnoms de « Stupor Mundi » (la stupeur du monde) ou de « prodigieux transformateur des choses ». Il n’aura finalement pas réussi à réaliser cette paix perpétuelle qu’il ambitionnait au travers de sa vision universaliste.
Nietzsche le célébrera comme « le premier européen qui convienne à mon goût ». Tout à la fois revendiqué et contesté, Frédéric II sera encensé par les protestants et détesté par les catholiques.