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Histoires et Lieux d'Alsace

Mélanie de Pourtalès

Giuseppe Verdi compose la Traviata en 1853

Louise Sophie Mélanie de Bussière est née le 26 mars 1836 au château de la Robertsau au nord de Strasbourg au sein d’une famille de banquiers et d’industriels.

Son grand-père, Athanase Paul, hérita par sa femme, Frédérique de Franck (la Récamier alsacienne), de la banque De Franck et sut faire fructifier ses capitaux. « Commissionnaire » en denrées coloniales, il augmente sa fortune et est élu trois fois député à Haguenau puis conseiller général. Il avait aidé Amélie de Dietrich dans la reconstruction du patrimoine industriel des de Dietrich et avait racheté leur château de Reichshoffen. En ce temps-là, beaucoup de fortunes se sont faites sur le commerce et la contrebande à grande échelle pendant les périodes révolutionnaires et napoléoniennes.

Son père, Alfred Renouard de Bussière élevé dans la rigueur protestante s’intéresse à la navigation rhénane et crée la société de navigation à vapeur sur le Rhin. A vingt-trois ans il devient président de la société de filature et tissage mécaniques du Bas-Rhin, puis rachète une fabrique d’acier à Graffenstaden qui deviendra la SACM (Société Alsacienne de Constructions Mécaniques qui produira quelques 5 000 locomotives et donnera bien plus tard naissance à ALSTHOM) quand il s’associera à un autre grand industriel, André Koechlin de Mulhouse. Il est également Directeur de la Monnaie de Strasbourg. En 1839, il participe à l’inauguration de la première ligne de chemin de fer entre Mulhouse et Thann réalisée par un autre Koechlin, Nicolas. Deux ans plus tard ce sera l’ouverture de la ligne Strasbourg-Bâle.

Mélanie grandit dans un cocon. Là encore, son berceau est béni par les dieux ! Sa maison à la Robertsau est aussi une ferme de 150 ha de champs, prés et forêts où s’égaillent chevaux, vaches, poules ou canards autour des étangs. Sa mère, Mélanie de Coehorn (la fille du général Louis de Coehorn mort en 1813 à la bataille de Leipzig surnommé le Bayard alsacien) élève sa fille unique avec amour et la prépare à entrer un jour dans la haute-société. Mélanie est une jeune fille douce, gracieuse, sage, intelligente. Elle se passionne pour tout, la musique, l'art, le théatre ... et bien sûr, elle rêve d'Amour ...

Mélanie de Bussière

Mélanie de Bussière

A Paris, Louis-Philippe a succédé à Charles X qui a abdiqué en 1830. Mais la lune de miel ne durera pas car les français ne veulent décidemment plus d’un roi. Un autre Louis, Napoléon Bonaparte (le neveu de Napoléon 1er) tente le 30 octobre 1836 de soulever la garnison de Strasbourg pour marcher sur Paris ! (Il veut refaire le coup de Napoléon 1er quand celui-ci a réalisé le retour de l’île d’Elbe). Mais il est aussitôt arrêté et envoyé en exil à New York.

En février 1848, 300 étudiants puis 3 000 ouvriers manifestent contre le gouvernement. Lors d’une confrontation, l’armée tire et tue 50 personnes ce qui provoque la révolution des barricades. Les parisiens érigent 1 500 barricades. Le roi des Français Louis-Philippe ne veut pas faire tirer sur les manifestants et décide d’abdiquer. Un gouvernement provisoire décrète la 2ème République. 

En juin, les ouvriers parisiens manifestent contre la fermeture des Ateliers Nationaux. Le nouveau gouvernement de la nouvelle république envoie l’armée. Cette fois, on n'hésite pas à tirer et on dénombre 5 000 morts chez les ouvriers et 1 500 chez les soldats ! Paradoxalement, les républicains sont plus violents et sanguinaires que les rois !

En septembre, Louis-Napoléon, s’empresse de revenir d’exil et est élu député dans cinq départements. En novembre, a lieu l’élection présidentielle où, contre toute attente, Louis-Napoléon est élu, à 40 ans, pour 4 ans le premier président de la république française avec 74% des voix ! Le nouveau président entreprend des voyages dans toute la France, inaugurant partout les nouvelles lignes de chemin de fer, pour aller à la rencontre de « son peuple ». Mais, le Prince n’a pas la majorité à l’assemblée constituante et est en constante opposition avec elle. Celle-ci a même voté l’annulation de l’élection au suffrage universel ! Louis-Napoléon ne cesse de demander l'augmentation de son traitement. D'abord de 600 000 francs, son traitement annuel est doublé à 1,2 million de francs. En 1850, il demande un nouveau doublement à 2,4 millions de francs, et l'Assemblée lui donne finalement 2,16 millions, peut-être pour qu’il ne s’occupe pas de leurs affaires. En 1851, il demande encore une augmentation de 1,8 million de francs supplémentaires que l'Assemblée cette fois-ci refuse. En désaccord permanent sur la manière de gouverner, certains députés veulent faire arrêter Napoléon. Ces mêmes députés souhaitent réactiver un décret permettant au Président de l’Assemblée de requérir directement l’armée !  Napoléon comprend alors qu’il n’a plus le choix. Il prépare et réalise, le 2 décembre 1851, un coup d’état pour se libérer de l’impasse dans laquelle se trouvent le pays et lui-même. Pour cela, il a besoin d’argent, de beaucoup d’argent. C’est sa maîtresse, Miss Howard de Londres, qui lui avance 5 millions de francs ! Il s’entoure de gens fidèles bien que corrompus et fait arrêter la plupart des députés. Une soixantaine de barricades sont érigées sur les grands boulevards. L’armée intervient, panique et tire sur les manifestants : 380 personnes sont tuées, plus de nombreux blessés. Quelques révoltés sont fusillés sommairement. On arrête 26 000 personnes dont 3 000 sont déportées en Algérie. Louis-Napoléon est profondément affligé par l’ampleur de la répression. Il refait une tournée en France profonde pour calmer les légitimes émois.

Louis-Napoléon III en 1836

Louis-Napoléon III en 1836

En juillet 1852, le Prince-Président arrive à Strasbourg pour inaugurer la ligne de train Strasbourg-Paris. Alfred Renouard de Bussière organise des fêtes somptueuses. Mélanie a seize ans quand son cher papa la présente à Louis-Napoléon lors d’un grand bal donné en son honneur. Louis-Napoléon la regarde longuement et semble apprécier la beauté de notre jeune alsacienne. Mélanie est bouleversée par cette entrée fracassante dans le monde mais retourne vite à ses études où elle excelle en philosophie, en dessin, au piano ou encore en histoire. Elle se prépare à sa future vie et rêve évidemment d’une rencontre romantique.

En novembre 1852, Louis-Napoléon organise des élections pour rétablir l’Empire ; il est plébiscité par 95% des électeurs ! Le voilà Napoléon III, empereur des Français à 44 ans. Il fait rembourser Misses Howard par l’Etat et lui octroie le titre de comtesse !

Quatre ans plus tard Alfred Renouard est nommé directeur de la Monnaie à Paris. Il emmène avec lui Amélie lors de ses nombreux voyages et la présente au jeune Edmond de Pourtalès, fils du comte James-Alexandre, banquier suisse, diplomate et collectionneur d’art.

Les deux familles sont enchantées de cette rencontre arrangée mais prometteuse et le mariage a lieu en 1857 au château de la Robertsau. A 21 ans, voilà Amélie mariée qui emménage au 7 rue Tronchet à Paris dans le très bel hôtel particulier des beaux-parents, véritable musée comprenant plus de 2 000 tableaux, sculptures ou autres œuvres d’art. Elle est subjuguée par cette nouvelle vie qui s’ouvre à elle et n’imagine pas ce que le destin lui prépare.

          Le beau-père décède malheureusement un an plus tard et laisse un testament très rude. Il demande à ses enfants de vendre aux enchères toutes ses œuvres ce qui représente une épreuve de plus pour toute la famille.

Edmond de Pourtalès

Edmond de Pourtalès

             Edmond est maintenant à la tête de la banque et doit tenir son rang. Avec Mélanie, ils reçoivent le tout Paris. Mélanie représente selon les critères de l’époque la beauté absolue. Elle conquiert rapidement tous les cœurs car en plus de la beauté, elle est d’une extrême amabilité et bienveillance vis-à-vis de toutes ses relations. Elle se lie d’amitié avec la princesse Pauline de Metternich, l’épouse de l’ambassadeur d’Autriche, dont la famille avait fréquenté les De Bussière à Strasbourg.

          Napoléon III, pour conforter son pouvoir, a constitué au palais des Tuileries une véritable cour suivant l’exemple de son oncle. Il apparait comme l’arbitre de l’Europe. Le Times à Londres écrit : « Ce grand homme, espoir du monde dont son oncle a été la terreur, a pour la paix le même génie que le vainqueur d’Austerlitz eut pour la guerre ». Le nouvel empereur veut que Paris devienne la capitale de l’Europe et attire l’élite européenne. Il veut également constituer autour de sa jolie épouse, Eugénie de Montijo, qu’il a épousé en 1853, une cour de jolies femmes cultivées et spirituelles chargées d’animer les fêtes impériales.

Un jour, l’impératrice Eugénie se promène en calèche dans un parc et croise le regard de Mélanie qui passait là, par hasard, dans sa voiture.

Elle s’exclame : « la perfection d’un Greuze ! Savez-vous de qui il s’agit ? ».

Sa dame de compagnie lui répond : « C’est la comtesse de Pourtalès, votre Majesté, elle vient tout juste de se marier ».

Et l’Impératrice de s’exclamer : « Il me la faut à mon bal demain soir. Occupez-vous de lui faire porter une invitation ».

C’est ainsi que Mélanie est invitée à la cour impériale et ne la quittera plus avant la catastrophe qui va engloutir cet eldorado 13 ans plus tard.

Notre alsacienne est tétanisée par l’épreuve mais réussit sa révérence impériale et son entrée en scène. La baronne de Stoeckel racontera : « Quand elle parut et s’inclina devant les souverains en réalisant la plus gracieuse des révérences, on aurait dit un personnage irréel tant son apparition était aérienne et délicate. Elle avait une silhouette parfaite, ses cheveux étaient blonds comme les blés, ses yeux d’un bleu pareil au manteau de la Vierge. Mélanie de Pourtalès était l’une des plus jolies femmes de l’époque ; on ne voyait qu’elle toute de jeunesse et de fraîcheur ».

Les compliments vont auréolés notre jeune alsacienne. Le duc de Coregliano relatera : « La comtesse de Pourtalès tenait sans conteste le sceptre de la beauté et de l’élégance ».

L’écrivain Arthur Meyer écrira : « La beauté et la grâce de Madame de Pourtalès avaient illuminé la cour impériale. Sa beauté a désarmé le temps mais de tous les dons qu’elle a reçus, elle s’est employée à développer le plus délicat, celui de plaire ».

C'est l'époque des valses de Johan Strauss

Les deux amies Mélanie de Pourtalès et Pauline de Metternich par Winterhalter
Les deux amies Mélanie de Pourtalès et Pauline de Metternich par Winterhalter

Les deux amies Mélanie de Pourtalès et Pauline de Metternich par Winterhalter

La cour est organisée selon un protocole très strict. Les 400 personnes qui en font partie se distraient aux Tuileries l’hiver. Chaque lundi soir, il y a le bal de l’Impératrice, puis les bals du Carnaval ou l’inoubliable ballet des Abeilles. En mai la cour se déplace à Saint-Cloud avant d’aller à Fontainebleau en juillet. En août, tout ce beau monde se retrouve à Deauville, puis à Biarritz avant de revenir en novembre à Compiègne. Un train spécial de 18 wagons est affrété pour chaque déplacement.

Mélanie se consacre également à son rôle de mère. Elle accouche de Jacques le 8 mai 1858, puis de Paul le 12 septembre 1859. Suivront Hubert le 5 janvier 1863, Elisabeth le 10 février 1867 et Agnès le 3 juin 1870.

Mélanie et Pauline de Metternich sont inséparables et peuvent laisser libre cours à leur goût pour le théâtre et la comédie. Elles montent des pièces, des revues ou des tableaux vivants, des jeux et des charades à en perdre la raison. Tout n’était qu’insouciance et fêtes à la cour de Napoléon III.

Mais la cour est aussi un vivier de jolies femmes qui rivalisent de beautés pour être aux premières loges et qui font tourner les têtes des hommes. Les jalousies sont forcément exacerbées. Mélanie, un jour, demande à son amie :

« Vous ne craignez pas l’infidélité de votre mari ? ».

Pauline lui répond malicieusement : « Tous les matins je lui casse une patte, comme ça je suis tranquille pour la journée ! ».

L’Empereur, lui, se laisse entrainer dans un tourbillon de libertinage avec les fameuses comtesses de Castiglione ou de Mercy-Argenteau, la duchesse de Persigny ou de nombreuses autres maîtresses. Cela va de pair avec le pouvoir.

Napoléon III et Eugénie par Winterhalter
Napoléon III et Eugénie par Winterhalter

Napoléon III et Eugénie par Winterhalter

Le cancan d'Orphée aux enfers de Jacques OFFENBACH en 1858

             Napoléon souhaite l’extinction du paupérisme ! Il organise en 1855 la première exposition universelle qui voit venir à Paris tous les souverains et hommes d’affaires du monde occidental. Paris devient la capitale du monde. L’Empereur qu’on a beaucoup critiqué est à l’origine d’une prospérité économique extraordinaire. En 20 ans, la production industrielle double et les exportations françaises triplent. Le réseau ferroviaire passe de 3 000 à 18 000 kms de 1850 à 1870. Napoléon encourage les initiatives pour concurrencer la suprématie anglaise.

          En 1867, Paris organise une seconde exposition universelle. L’Empereur et l’Impératrice offre à leurs prestigieux hôtes une pièce intitulée « Les commentaires de César » jouée par la cour et où Mélanie interprète le rôle de « France », où « son teint éclatant et sa chevelure dorée ressortent admirablement par le contraste du casque et de la cuirasse d’or… » Entre autre compliment : « Je ne peux m’empêcher de me prosterner aux pieds de cette belle France que vous avez si bien personnifiée avec toute sa beauté et sa gloire ».

Napoléon III et la révolution industrielle

Mélanie n’oublie pas pour autant son Alsace bien-aimée. Elle promeut et protège les artistes comme les peintres Théophile Schuler et Gustave Doré de Strasbourg, Jean-Jacques Henner de Bernwiller, Gustave Brion de Rothau, le pianiste Waldteufel de Strasbourg,

La famille De Pourtalès retourne chaque été en Alsace. Les « vacances » commencent par un séjour à Schoppenwihr (le domaine des Berckheim où Amélie de Dietrich de Berckheim était née) qu’a racheté et transformé Paul de Bussière, le frère « bling-bling » de Mélanie. On va à Schoppenwihr pour les chasses grandioses organisées pour tout le gratin européen, Grands ducs russes, Archiducs autrichiens et Ducs français ou allemands. Mélanie et toute la cour de Napoléon III assistent aux fêtes et feux d'artifices donnés en leur honneur. Mélanie y retrouve les Metternich, puis transporte toute cette cour à la Robertsau où ils poursuivent leurs fêtes.

Mélanie y accueille aussi les plus grands noms de l'époque, comme le roi Louis de Bavière, le roi et la reine de Belgique, le prince de Galles, l'empereur Guillaume, le grand duc de Baden, le prince de Metternich, Franz Liszt et Albert Schweitzer...

Le château de Pourtalès à l'époque avec son étang et aujourd'hui transformé en hôtel
Le château de Pourtalès à l'époque avec son étang et aujourd'hui transformé en hôtelLe château de Pourtalès à l'époque avec son étang et aujourd'hui transformé en hôtel

Le château de Pourtalès à l'époque avec son étang et aujourd'hui transformé en hôtel

En 1866, la Prusse a des ambitions expansionnistes et guerrières et veut fédérer les nombreux états allemands. Le premier ministre Otto von Bismarck se laisse convaincre par le général von Moltke d’envahir la Bohême :

« Nous disposons de l'inestimable avantage de pouvoir projeter les 285 000 hommes de notre infanterie par cinq lignes de chemin de fer, et de la concentrer, au moins en théorie, en l'espace de 25 jours… L'Autriche ne dispose, elle, que d'une ligne de chemin de fer, de sorte qu'il lui faudrait 45 jours pour nous opposer seulement 200 000 hommes ». L’Empereur Guillaume 1er se met à la tête de l’armée prussienne avec son fils Fréderic-Guillaume et battent en un mois les armées autrichiennes en Tchéquie (5 000 morts côté autrichien et 2 000 côté prussien).

          La France ne réagit pas ! Il est vrai qu’en contre-partie d’une non-intervention, Bismarck avait promis de donner la Belgique à Napoléon III !

C’est la consternation dans tous les milieux attachés à la paix.

          Bismarck ne va pas s’arrêter là. Auréolé par cette victoire, il prépare son opinion publique à une guerre d’une autre ampleur en prétextant des motivations de défense et de protection.

Otto von Bismarck, chancelier de l'Allemagne et l'empereur Guillaume 1erOtto von Bismarck, chancelier de l'Allemagne et l'empereur Guillaume 1er

Otto von Bismarck, chancelier de l'Allemagne et l'empereur Guillaume 1er

            Napoléon III est sur un nuage avec l’organisation de l’exposition universelle de 1867 et passe son temps entre Marguerite Bellanger et la comtesse de Mercy-Argenteau pour laquelle il a fait construire un souterrain secret à l’Elysée. Il ne veut pas renoncer à ses fêtes et ne veut pas voir le danger.

          Mélanie rencontre plusieurs fois le général Ducrot, gouverneur militaire de Strasbourg qui la supplie d’alerter l’Empereur. Elle rencontre le ministre prussien, le comte de Schleinitz, lors d’un dîner à Berlin qui lui tient un discours stupéfiant :

« Vous devriez venir vivre à Berlin plutôt qu’à Paris ».

« Je suis Alsacienne, lui répondit Mélanie, et j’aime la France ! ».

« Eh bien ! Puisque vous ne voulez pas nous revenir, lui répliqua le comte, il faudra que nous allions reprendre la belle Alsace. Avant 18 mois, elle sera province allemande et alors nous vous aurons avec elle ! ».

          Extrêmement choquée et émue par cette insolence, elle court prévenir Napoléon qui veut la rassurer :

« A travers quels gros nuages vos beaux yeux bleus ont-ils vu l’avenir ? »  lui dit-il ; « pour faire la guerre , il faut être deux et nous ne la désirons pas. Croyez-moi, nous n’avons rien à craindre de la Prusse, elle n’osera pas nous attaquer ! ».

          La diplomatie française à Paris est tout aussi aveugle et l’armée française n’est pas du tout prête à une telle confrontation.

          Bismarck, pour consolider son pouvoir, et détourner l’attention de la nation prussienne de leurs problèmes quotidiens, leur fait croire que l’ennemi naturel est la France et qu’il faut se venger de « Iéna » la défaite de 1806 contre Napoléon 1er !  Il s’exclame : « Ce n'est pas par des discours et des votes de majorité que les grandes questions de notre époque seront résolues, comme on l'a cru en 1848, mais par le fer et par le sang. Je ne doute pas de la nécessité d’une guerre franco-allemande avant de pouvoir mener à bien la construction d’une Allemagne unie ».

Sa certitude allait de pair avec la conviction que l’armée prussienne était supérieure à la française : « Si les Français nous combattent seuls, ils sont perdus ».

Bismarck va réussir à berner le monde entier en inventant la « dépêche d’Ems » envoyée à toutes les chancelleries, qui laisse croire que l'ambassadeur de France, Vincent Benedetti, a été humilié par Guillaume 1er, le roi de Prusse lors de son entrevue. Bismarck espère que « ce texte fera sur le taureau gaulois l'effet d'un chiffon rouge ».

C’est ce qui va en effet se passer : à Paris, la dépêche provoque l'indignation des journalistes et de l'opinion publique. Napoléon et tout le gouvernement français tombe dans le piège !

« Nous sommes prêts et archi-prêts, la guerre dût-elle durer deux ans, il ne manquera pas un bouton de guêtre à nos soldats », déclare Edmond Le Bœuf, maréchal de France et ministre de la Guerre, à la Chambre des Députés le 15 juillet 1870 ! Le 19 juillet 1870, la France déclare la guerre à la Prusse ! Napoléon, à 62 ans, malade prend la tête des troupes. Voilà comment se déclarent des guerres complètement folles !

Mélanie de Pourtalès

Dans les faits, les armées françaises vont être battues plusieurs fois en six semaines ! En juillet, on dénombrera 10 000 morts à Reichshoffen. A Morsbronn et Wissembourg dans le nord de l’Alsace, le général Mac Mahon engage sa cavalerie qui est à chaque fois écrasée par les Prussiens. Le 12 août, la citadelle de Strasbourg est investie. Devant le refus de la ville de se rendre, le bombardement commence le 18 août. Dans la nuit du 24 août, la Bibliothèque s'enflamme. L'Hortus Deliciarum et d'autres trésors incomparables sont détruits par le feu. L'Aubette, le Gymnase, le Temple Neuf, le Musée de peintures et de sculptures, puis la Cathédrale sont la proie des flammes.

En août, les Français sont encore battus à Saint-Privat, à Gravelotte. Le 20 août, le général Bazaine se laisse enfermer avec 180 000 hommes dans la ville de Metz. Napoléon III est lui-même encerclé à Sedan avec ses 39 généraux incapables de définir une stratégie cohérente. Le pauvre homme capitule le 2 septembre 1870.

Le 27 septembre le général Uhrich, commandant de la place de Strasbourg, se rend. Les Prussiens entrent dans la ville. Le 20 octobre Sélestat est investie, bombardée et prise en quatre jours. Le 11 novembre Neuf-Brisach se rend après 33 jours de siège et de bombardements.

Mélanie qui vient d’accoucher de sa dernière fille Agnès est horrifiée par les nombreux blessés qui arrivent souvent dans un état désespérant au château de la Robertsau qu’elle a transformé en infirmerie. Son père Alfred est, à 70 ans, arrêté brutalement et emprisonné à Rastatt. Edmond de Pourtalès est en première ligne au front. Mélanie va finalement se mettre à l’abri avec ses enfants en Suisse et tente de faire libérer son père. Le Grand-duc de Bade, devenu prussien, investit le château de Pourtalès avec son état-major. Les vainqueurs veulent en plus de leur victoire humilier les Alsaciens.

A Paris, la population se soulève, proclame la République et forme un gouvernement provisoire qui décide dans un premier temps de résister. Le siège de Paris dure 4 mois. Pendant ce temps, Gambetta réorganise les armées qui tentent de repousser les Allemands. Mais le 20 janvier 1871, le gouvernement demande un armistice qui est signé le 28. Le conflit a fait 139 000 morts dans les rangs français et 51 000 côté allemand. 18 000 français vont encore mourir dans les camps en Allemagne.

La conséquence immédiate de la victoire prussienne est l’avènement d’un empire allemand unissant tous les duchés allemands. Le roi de Prusse, Guillaume 1er de Hohenzollern, est proclamé empereur à 74 ans dans la galerie des glaces au château de Versailles le 18 janvier 1871. Comme quoi la vanité des hommes efface le remords et la honte. Le 26 février 1871, est signé à Versailles un traité qui cède l’Alsace et la Lorraine au nouvel empire et oblige la France à payer une indemnité de 5 milliards de francs-or (soit peut-être ?? l’équivalent de 50 milliards de nos euros). Bismarck se frotte les mains ; il a choisi Versailles pour venger la mise à sac du Palatinat par Louis XIV en 1690 et la défaite d’Iéna par Napoléon 1er en 1806 ! La rancune des hommes peut aussi être funeste ! L’impératrice Eugénie tentera d’empêcher l’inconcevable et dans un fameux échange épistolaire avec l'empereur Guillaume, elle supplie en vain le souverain allemand de renoncer à l’annexion de l’Alsace et la Lorraine. Hélas, la population des deux régions est comme emprisonnée, sans appel, dans son propre habitat.

Le traité de Versailles en 1871 par Belloguet au Musée Carnavalet

Le traité de Versailles en 1871 par Belloguet au Musée Carnavalet

Les alsaciens sont plongés dans le désespoir. Que vont-ils devenir ?

Que faire ? Accepter la domination et l’occupation des « boches » ou s’exiler ? Plus de cent mille alsaciens refusent la nationalité allemande et s’exilent. Tous les artistes alsaciens, Henner, Doré représentent à leur manière le deuil de l’Alsace. Mélanie, en première résistante, pose en paysanne alsacienne et son portrait représentant l’Alsace pleurant la patrie perdue apparait bientôt dans toutes les vitrines de commerce.

Napoléon III a été interné au château de Wihelmshöhe près de Kassel jusqu’au 19 mars 1871. Il rejoint ensuite en exil son épouse et son fils à Londres. Mélanie et Pauline de Metternich s’empressent de leur rendre visite pour les aider à s’organiser car le couple impérial n’a plus un sous. Mélanie plaide leur cause auprès de Thiers le nouveau chef du gouvernement de la 3ème république qui refuse d’abord de la recevoir.

Devant le siège obstiné qu’elle fait, il s’exclame : « Emportez tout, mais allez-vous-en, pour que je ne vous voie plus ». Elle obtient ainsi l’envoi de leurs objets personnels « par caisses entières ». Napoléon III lui écrit : « Comment oserait-on se plaindre lorsqu’on peut compter sur des dévouements comme le vôtre et celui de votre mari. Je ne saurais vous dire combien j’ai été heureux de vous revoir et combien je suis sensible à toutes les preuves d’amitié que vous nous donnez dans ces jours de deuil et d’angoisse ». L’exil de l’Empereur déchu durera moins de deux ans, car il décède le 9 janvier 1873 des suites de deux opérations de la vessie.

Les Pourtalès choisissent évidemment la France et résident principalement à Paris. Ils obtiennent des autorisations de séjour en Alsace pour s’occuper de leurs entreprises et du château de la Robertsau. Les parents de Mélanie y fêtent en 1875 leurs noces d’or avec toute la famille réunie ainsi que leurs amis. Alfred Renouard de Bussière fait une donation de 200 000 francs pour l’éducation d’enfants pauvres ou infirmes à Graffenstaden ainsi que 30 000 francs à dix familles pauvres de la Robertsau.

Mélanie de Pourtalès prend l’initiative de résister à sa façon. Elle va narguer les Allemands en invitant l’Europe entière à venir la visiter à la Robertsau. On voit ainsi le duc d’Orléans et le duc de Montpensier, le comte Goluchowski et la princesse Murat, les grands-ducs russes Michel et Paul, la duchesse Marie-Pavlovna et la comtesse Orlov et bien d’autres ... Elle y invite également les poètes, les académiciens, les peintres et acteurs français. Elle souhaite ainsi maintenir une terre française en terre allemande. Tout cela énerve bien les autorités allemandes.

Elle visite aussi l’Alsace du nord au sud pour « véhiculer » l’esprit de résistance : «Was e glick ! Jetz sin mer under uns. Do treffe mer kenn fremdi. Di tröje gar net komme ». (Quel bonheur ! Nous voilà entre nous. Ici, on ne rencontre pas d’étrangers. Ceux-là n’osent pas venir).

 

Mélanie peinte par Renoir en 1877 et comme tisseuse alsacienne résistante
Mélanie peinte par Renoir en 1877 et comme tisseuse alsacienne résistante

Mélanie peinte par Renoir en 1877 et comme tisseuse alsacienne résistante

La nouvelle Allemagne voulant diluer l'esprit de résistance des alsaciens envoie dans la plaine beaucoup d’immigrés. C’est ainsi qu’en 1910, les immigrés allemands représentent 40% de la population alsacienne.

En 1887, le papa de Mélanie décède à l’âge de 83 ans. Mélanie est ébranlée par la disparition de ce père adoré à qui elle doit tout. En 1895, c’est Edmond son mari qui meurt. Mélanie devient le chef de la famille et s’occupe d’agrandir le château et sa ferme de 500 hectares. Mélanie continue de promouvoir les artistes alsaciens comme Spindler, Ritleng, Stoskopf. Elle organise des séances théâtrales toujours en français comme « les folies amoureuses » qui déclenchent une tempête médiatique des journaux allemands qui réclament sa « tête ». On lui supprime les droits de chasse pour la faire taire. Mélanie s’attache à donner aux nécessiteux, offre des habits aux enfants défavorisés, fait distribuer de la viande, du pain et du charbon aux pauvres de la Robertsau. Elle finance un foyer pour l’enfance.

Mélanie continue de résister et de voyager entre Paris, Cannes et la Robertsau. En 1913, elle y donne une fête qui sera la dernière pour la fin des travaux du château. Début 1914, la maladie la torture. Elle décède à Paris le 5 mai 1914 à l’âge de 78 ans sans se douter qu’un mois plus tard un évènement invraisemblable allait déclencher la « première guerre mondiale » qui verra en 1918 l’Alsace redevenir française.

Pauline de Metternich, sa meilleure amie, effondrée écrit : « Je n’arrive pas à croire que je ne la reverrai plus. De l’inoubliable, voilà ce qu’elle restera pour moi jusqu’à mon dernier souffle ». Elle recueille tellement de lettres de condoléances de toute l’Autriche qu’elle ne sait plus où donner de la tête. Le Tout Paris se presse au domicile de la rue Tronchet pour rendre un dernier hommage à celle qui personnifiait l’élégance et la bonté d’âme.

Mélanie avait demandé à être enterrée dans sa chère Alsace. L’église de la Robertsau était bondée. Le pasteur Federlin prononça un émouvant sermon : « Cette cloche qui sonna tout à l’heure nous a été offerte il y a 50 ans par le père de Madame de Pourtalès. On lui donna le nom de Mélanie. C’est donc la comtesse qui nous appelle. Elle n’aimait pas que l’on vante ses mérites. Pourtant, nous ne pourrons jamais redire tout le bien qu’elle fit autour d’elle…».

Mélanie a merveilleusement bien représenté les valeurs de sa chère Alsace et ne verra pas sa libération qui lui tenait tant à cœur !

L'Alsace et la Moselle volées

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