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Histoires et Lieux d'Alsace

Nickel le rescapé de Saint-Ulrich

Nous sommes en 1913. L’Alsace est allemande depuis 42 ans. Contrairement aux autres « Länder » qui ont une certaine autonomie, l’Alsace est dirigée par la main de fer d’un gouverneur militaire nommé directement par le Kayser. C’est dire la méfiance voire la haine qui anime les Allemands vis-à-vis des Alsaciens qui le leur rendent bien. Dans le Sundgau, tout au sud de l’Alsace, à Saint-Ulrich, on y est particulièrement sensible car le village de 250 habitants est situé sur la frontière avec le territoire de Belfort qui est resté français grâce à l’héroïque résistance du colonel Denfert-Rochereau lors du siège de Belfort en 1871. Saint-Ulrich appartenait aux comtes de Ferrette jusqu'en 1324 avant de passer par alliance aux seigneurs de Habsbourg et de faire ensuite partie de l’évêché de Bâle. Ce petit territoire, même s’il a été bouleversé par l’histoire, est très éloigné du bruit des canons. C’est un paisible village rural qui s’enorgueillit de la beauté de ses champs au milieu de paysages bucoliques.

Le village de Saint-Ulrich, hier et aujourd'hui
Le village de Saint-Ulrich, hier et aujourd'hui

Le village de Saint-Ulrich, hier et aujourd'hui

Dans la famille Richert, on est paysan de père en fils. Dominique a épousé Rosalie Bilger en 1890. Deux enfants naissent de cette union, Joséphine en 1892 et un garçon, Dominique, qu’on surnomme Nickel en 1893. A la ferme on ne parle que l’alsacien. Nickel a une enfance heureuse ; il court la campagne aux alentours proche du village. Il va à l’école du village, apprend l’allemand et l’écriture gothique. A 13 ans, son maître, ressentant l’intelligence du garçon, insiste auprès de son père pour qu’il l’envoie faire des études. Mais, le père ne peut pas se passer de ses bras et Nickel travaille aux champs comme tous les garçons du village. L’hiver, il se fait embaucher comme bûcheron ou poseur de rails de chemin de fer.

            Les Richert représentent cet esprit alsacien fidèle aux valeurs du passé faites de travail, de bon sens et de raison et qui n’imaginent pas leur vie autrement que dans la continuité et l’exemple de leurs aïeux.

Nickel aux champs et avec sa soeur et ses parents
Nickel aux champs et avec sa soeur et ses parents

Nickel aux champs et avec sa soeur et ses parents

Le début du 20ème siècle est à l’euphorie générale. On l’appellera « La Belle Epoque ». En effet, les progrès technologiques ont révolutionné la vie quotidienne des hommes comme cela n’a jamais été le cas : l’invention de l’électricité, de l’automobile avec le pétrole, de l’aviation, de la radio, de la photographie et de la médecine vont projeter la société européenne dans un tourbillon de rêve et d’insouciance. Ce sont évidemment les 40 années de paix qui ont permis un développement économique sans précédent et entrainé cette révolution industrielle. L’exposition universelle de Paris de 1900 avec ses 48 millions de visiteurs inaugure un siècle heureux. Si dans les campagnes, les conditions de vie sont toujours très difficiles, dans les villes et surtout à Paris, l’époque est à la liberté individuelle et au développement personnel. C’est aussi une période où apparaissent la chanson populaire, les froufrous, le Moulin Rouge, le cinéma.

En 1913, Nickel devient majeur. Il est heureux ; 20 ans, il va enfin pouvoir décider de sa vie. Il songe évidemment à se marier et à fonder une famille. Mais il veut d’abord faire son service militaire. Il est incorporé le 16 octobre 1913 dans la 1ère "Kompanie du 112e infanterieregiment" basé à Mulhouse.

Nickel, en haut à gauche, sera le seul survivant de sa chambre du 112e R.I. !

Nickel, en haut à gauche, sera le seul survivant de sa chambre du 112e R.I. !

               A Vienne, le règne de François 1er de Habsbourg avait commencé sous les meilleurs auspices avec son mariage avec la très jolie Elisabeth de Bavière (Sissi). Mais les nuages et les malheurs ne vont pas cesser de s’abattre sur la dynastie millénaire. François s’est vu obligé de composer et faire alliance avec la Prusse de Bismarck. En 1889, son fils Rodolphe, héritier de la couronne impériale, est retrouvé mort avec sa maitresse dans le pavillon de chasse de Mayerling. En 1898, c’est Sissi, l’impératrice, qui est assassinée à Genève par un illuminé.

          De plus, l’empire se lézarde car les Hongrois et Croates rêvent d’indépendance. La vie de François-Joseph va s’achever dans le pire des cauchemars quand son neveu, François-Ferdinand, héritier du trône, est assassiné avec sa femme à Sarajevo le 28 juin 1914. Convaincu d’un complot de la Serbie, François-Joseph va prendre la pire décision de sa vie et entrainer l’Europe et le monde par deux fois dans l’horreur absolue.

                 Le vieil empereur de 84 ans veut punir la Serbie et remettre de l’ordre dans son empire et va provoquer une guerre mondiale. Car la Serbie est l’alliée de la Russie, qui est l’alliée de la France et de l’Angleterre. François s’assure du soutien de l’Allemagne et envoie le 23 juillet un ultimatum humiliant à Belgrade qui exige notamment que des enquêteurs autrichiens se rendent à Belgrade. La Serbie refuse ce point et cela suffit à provoquer un engrenage de folie qui va envoyer 10 millions de jeunes hommes à la mort et fera 5 millions de victimes civiles. Le 28 juillet, l’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie. L’Allemagne de Guillaume II, qui a adressé un ultimatum de non-intervention à la France et à l’Angleterre, attaque le Luxembourg le 2 août. Le 3 août, elle déclare la guerre à la France et attaque la Belgique le 4 ! L’empereur Guillaume II, petit-fils de Guillaume 1er qui avait déclenché la guerre de 1870, se place ainsi dans la même logique guerrière que son grand-père.

Nickel le rescapé de Saint-Ulrich

               Dominique Richert, dans sa caserne, est abasourdi; il écriera plus tard en allemand :

« Je n’avais aucune envie de chanter, parce que je pensais qu’une guerre offre toutes les chances de se faire tuer. C’était une perspective extrêmement désagréable. De même, je m’inquiétais en pensant aux miens et à mon village, qui se trouve tout contre la frontière et risquait donc une destruction. Le 1er août, mon père et ma sœur me rendirent une dernière visite, pour me donner de l'argent et me faire leurs adieux. Ce fut une séparation pénible, puisque nous ne savions pas si l’on se reverrait un jour. Nous pleurions tous les trois. En s’en allant, mon père me recommanda d’être toujours très prudent et de ne jamais me porter volontaire pour quoi que ce soit. Cet avertissement était superflu, car mon amour de la patrie n’était pas considérable, et l’idée de « mourir en héros », comme on dit, me faisait frémir d’horreur ».

Aussi incroyable que cela puisse paraître, la France n’a pas prévu de plan d’opération, mais se décide à attaquer en Alsace pour reprendre la plaine volée en 1871. Le 5 août, déboulant par la vallée de la Thur, l’armée Française se rue sur Mulhouse. Nickel est aux premières loges : « Le 7 août, je vis mes premiers Français ; il s'agissait de patrouilles qui progressaient dans les champs de blé. Nous nous sommes tirés dessus mutuellement, sans qu'il y ait de pertes d'un côté ou de l'autre »

Mulhouse est pris le 8 août. La bataille est un carnage : « Les Français chargeaient encore comme au XIXe siècle : l'assaut en masse, baïonnette au canon, avec les pantalons rouges que tout le monde connaît ».

Les Allemands contrent l'offensive et le régiment de Dominique a pour mission de prendre d'assaut le terrain d'aviation de Habsheim : « Les rires et la bonne humeur disparurent aussitôt. Personne ne pensait survivre à cette nuit … Il fallait se mettre en marche à présent. Au bord de la route gisait le premier mort, un dragon français qui avait reçu un coup de lance en plein cœur. Une vision horrible ; la poitrine sanglante, les yeux vitreux, la bouche ouverte et les mains crispées ».

          Dans les vignes vers Rixheim, Nickel empêche un Badois d’achever un Français blessé. Les Allemands reprennent Mulhouse le 10 août.

Le 14 août, le général français Pau lance simultanément deux offensives sur l’Alsace avec 150 000 hommes : la première par la trouée de Belfort, la seconde par les principales vallées Vosgiennes : Thann, Guebwiller, Munster, Ste Marie-aux-Mines, Urbès, Steige, Schirmeck. Dès le 14, les Allemands sont battus à St Blaise et évacuent la vallée de Schirmeck. Le 19 les combats font rage à Altkirch. Les Allemands reculent et le général Pau reprend Mulhouse puis Colmar qu’il devra à nouveau abandonner le 24 août pour installer la capitale de l’Alsace à Thann dans la vallée de Saint-Amarin ! On dénombre 4000 morts ou blessés dans chaque camp.

Le sud de la plaine avec le village de Saint-Ulrich est occupé par les Français ce qui empêchera Dominique de rentrer chez lui pour des permissions et même à sa famille de lui envoyer des colis ou du courrier. Le destin est cruel et semble s'acharner sur lui ce qui le déprime au plus au point.

Nickel le rescapé de Saint-Ulrich

           Le 112ème R.I. de Dominique est envoyé attaquer la France par le col de Saverne où se déroulera la bataille de Lorraine. Le 18 août, Nickel creuse sa première tranchée à Sarrebourg. Pendant 2 jours la bataille est acharnée. Le 20 au matin, Dominique sort de sa grange : « Quelle vision horrible ! Des Français morts et blessés gisaient devant nous à perte de vue. Les morts allemands étaient encore là, eux aussi. Beaucoup de nos morts étaient horribles à voir. Plus loin, je découvris un horrible spectacle : un soldat allemand et un soldat français étaient agenouillés face à face, chacun ayant transpercé l'autre avec sa baïonnette, avant de s'affaler ensemble ».

Nickel sort très éprouvé de ces premiers jours de guerre : « Courage, héroïsme ? Je doutais de leur existence car, dans le feu de l'action, je n'avais vu, inscrits sur chaque visage, que la peur, l'angoisse et le désespoir. Quant au courage, à la vaillance et autres choses du même genre, il n'y en a pas ; ce sont la discipline et la contrainte qui poussent le soldat en avant, vers la mort ».

Le 20 août 1914, autour du village de Buhl : « Un tir d’infanterie crépitant nous fut opposé ! Plus d’un pauvre soldat tomba dans l’herbe tendre. Il était impossible d’aller plus avant. Nous nous sommes tous jetés par terre, essayant de nous enterrer à l’aide de nos pelles et de nos mains. On était étendus là, blottis contre le sol, tremblants de peur, attendant la mort d’un instant à l’autre ».

Le 21 août, il est à Lorquin : « Une grosse mine explosa au-dessus de nous. D'autres suivirent. Plusieurs hommes s'effondrèrent, foudroyés. Tout le monde voulait battre en retraite pour chercher un abri ; Le lieutenant Vogel criait : En avant ! Comme quelques soldats tergiversaient, il en abattit quatre sans hésiter ; deux furent tués, deux blessés. Un des blessés était Sand, un de mes meilleurs camarades. (Le lieutenant Vogel fut abattu deux mois plus tard, par ses propres hommes, dans le nord de la France) ».   

               Le pire est la pluie d’obus qui tombent sans cesse tuant au hasard : « Tout tremblant, j'étais couché à découvert sur la prairie, à côté de la route, près de la rivière. Je n'osais pas bouger. Je pensais que ma dernière heure était venue, mais je ne voulais pas mourir. Je priai Dieu de m'aider, implorant comme on le fait face au pire danger. C'était une supplication tremblante et pleine de peur, venant du plus profond de moi-même, un cri fervent et douloureux vers le Très-Haut ».

               Le 26 août, à Thiaville, le général Stenger donna l'ordre suivant qui fut lu à chaque compagnie : « Aujourd'hui on ne fait pas de prisonniers. Les blessés et les prisonniers doivent être abattus ». « La plupart des soldats restèrent abasourdis et sans voix, d'autres au contraire se réjouissaient de cet ordre ignoble contraire aux lois de la guerre. Un sous-officier de notre compagnie du nom de Schürk, un Badois, tira d'abord en ricanant dans le postérieur d'un blessé qui gisait dans son sang ; puis il tint le canon de son fusil devant la tempe du malheureux qui demandait grâce et appuya sur la détente. Le soldat mourut, libéré de ses souffrances. Mais je n'oublierai jamais ce visage déformé par la terreur. A quelques pas de là, dans un fossé, gisait un autre blessé, un homme jeune et beau. Le sous-officier Schürk se précipita vers lui ; je le suivis. Schürk voulut le transpercer de sa baïonnette ; je parai le coup et hurlai, déchaîné : « Si tu le touches, tu crèves l ». 

               Fin août : « Ma compagnie ne comptait plus que quarante hommes, plus d'une centaine étaient tombés. Nous étions hébétés, épuisés, désespérés ».

               Au village du Ménil : « Les Français recommencèrent à tirer comme des fous. Des obus explosaient de toutes parts. Les shrapnels semaient leur pluie de plomb sur nos têtes. Ce n'était que sifflements, explosions, fumée, mottes de terres volant partout et soldats touchés. Un obus explosa à trois mètres de moi. Sans réfléchir, je me jetai au sol, me protégeant le visage de mon bras gauche. La fumée me submergea. Un éclat arracha la crosse de mon fusil, à hauteur de la culasse. Je m'en sortis miraculeusement indemne. Mes deux voisins étaient morts ».

               Quand l’ordre de repli est donné, Nickel songe à se cacher pour se rendre aux Français mais le courage lui manque. Il passe le mois de septembre plus souvent couché dans la boue que dans les granges et estime déjà être un miraculé.

               La bataille de Sarrebourg est perdue par le Général Castelnau. Le général Pau fait évacuer la Haute Alsace le 24 août alors que le fort « Kaiser Wilhelm » de Mutzig empêche toute avancée française dans la vallée de la Bruche. Les Allemands reviennent sur leurs positions antérieures, et seules les vallées de Masevaux et de Saint-Amarin restent aux Français. Thann est déclarée capitale provisoire de l’Alsace française.

   Le 2 octobre, Dominique est envoyé en Belgique : « On pénétra dans la ville de Douai qui venait juste d'être évacuée par les Français. On prit nos quartiers dans une caserne de cuirassiers. Notre commandant de régiment nous tint un discours dans la cour de la caserne, disant que nous avions à présent la pire partie de la guerre derrière nous car nous n'avions dorénavant à faire face qu'à des Anglais et des Noirs. Cette affirmation allait vite être démentie … ».

          Le Royaume-Uni entre, en effet, en guerre car son opinion publique est ulcérée des informations provenant des réfugiés fuyant les combats qui accusent les Allemands de se livrer à des atrocités comme exécuter des civils, couper les mains des prisonniers pour qu'ils ne puissent plus se battre ou encore saccager maisons, châteaux et églises.

               Après 2 mois de guerre, Nickel a déjà eu beaucoup de chance d’être en vie. Il n’a d’ailleurs plus que cela en tête : sauver sa peau. Il refuse d’obéir à un ordre stupide de sortir de son fossé en répondant à un sous-officier : « Montrez-moi comment le faire ? mais celui-ci n’a pas eu le courage de le faire ».

Nickel le rescapé de Saint-Ulrich

              Le mois de novembre se passe à attaquer les tranchées ennemies et à refluer dans la sienne. A chaque attaque il y a 30 à 50% de morts qui restent là, la face dans la boue. La nuit du 24, pour une seule attaque ennemie, 90% de sa compagnie de 240 hommes est anéantie ! Heureusement, qu’il rencontre régulièrement des femmes « ennemies » qui lui donnent à manger ou des vêtements et lui permettent de se laver.

            « Une fois, je fus affecté à la garde d’un prince de Hohenzollern qui habitait dans un château. Pour ces oiseaux-là, la guerre est agréable ! ils se placardent des tas de décorations sur la poitrine sans jamais entendre siffler la moindre balle, ils mangent, boivent à profusion et courent les filles. En plus, ils touchent un salaire élevé alors que le simple soldat mène une vie de chien pour 50 pfennigs de solde ! »

En décembre, son régiment est face aux tranchées anglaises : 

« C’était une vision horrible ; les morts, les blessés gisaient partout, Allemands et Anglais pêle-mêle, et le sang ruisselait encore de leurs blessures. C’était une vision épouvantable, qui me poussa presque au désespoir ». 

               En janvier 1915, il réussit à se faire hospitaliser pour « ses mauvaises dents » et à la sortie on l’envoie au bataillon de réserve du 112e RI qui se trouve à Donaueschingen. Il est heureux de quitter l’horrible bourbier belge mais éprouve de la tristesse à quitter ses camarades survivants.  

            En France aussi, les généraux s’obstinent à faire massacrer leurs hommes pour un bout de terrain. Le général en chef Joseph Joffre, a théorisé sa stratégie : « La guerre n'est que sauvagerie et cruauté et ... ne reconnaît qu'un moyen d'arriver à ses fins, l'effusion sanglante. La victoire exige des attaques poussées jusqu'au bout, sans arrière-pensée ; elle ne peut être obtenue qu'au prix de sacrifices sanglants. » Effectivement, en août en 15 jours, 100 000 jeunes français vont mourir lors de la bataille des frontières (27 000 pour la seule journée du 22 août). Joffre ordonne aussi qu'on exécute non seulement les fuyards mais également tout officier faisant preuve « d'insuffisance et de faiblesse, ou encore d'incapacité ou de lâcheté manifeste devant l'ennemi » ! Quelle folie !

               En Alsace, les Allemands veulent reprendre les vallées occupées par les Français au moment même où 43 chasseurs-alpins ont pris possession du Hartmannswillerkopf, une colline de 943 mètres près de Cernay, dominant toute la plaine. Offensives et contre-offensives vont se succéder pendant toute l’année 1915. Les Allemands utilisent en septembre les premiers lance-flammes ! En décembre, Joffre lance 16 bataillons et 239 pièces d’artillerie sur un front de 5 km2 pour s’emparer de la position. Mais les Allemands la reprennent aussitôt. C’est un massacre au corps à corps. L’aspirant Martin écrit : « Je n’ai jamais vu pareil charnier et durant les années suivantes je ne verrai pas, même à Verdun, pareil entassement de cadavres en un terrain aussi chaotique et sur un si petit espace ». . La bataille du Vieil-Armand coûtera 65 000 victimes à chaque camp (15 000 tués et 50 000 blessés). Un Historial, un Mémorial et deux cimetières rappellent aujourd’hui cette tragédie.

 

En août 1914, le tsar de Russie a envoyé ses armées en Prusse orientale et en Galicie. La victoire française lors de la bataille de la Marne, en septembre, bloque les Allemands sur leur ligne de front mais a fait 300 000 morts dans chaque camp ! Les armées allemandes échouent sur tout le front des Flandres face aux Britanniques et aux Belges. C’est ainsi que chaque armée va s’enterrer sur 400 km dans des tranchées qui sont creusées depuis la mer du nord jusqu'à Verdun et, bientôt, jusqu'à la frontière suisse.

En avril 1915, Dominique Richert est transféré, comme de nombreux Alsaciens sur le front de l’est pour les éloigner du théâtre d’opération français et éviter des tentations d’évasion. Il voyage pendant 6 jours et 6 nuits et participe dans la neige à la bataille des Carpathes en Ukraine qui fait 350 000 morts, blessés et prisonniers aux Austro-Allemands et 250 000 aux Russes : « Je crus que nos chefs étaient devenus fous. Attaquer … avec des soldats à demi-morts et épuisés … On nous donna alors cet ordre qui me terrifiait toujours autant : baïonnette au canon, en avant ! on avança la peur au ventre … Une salve de mitrailleuse claqua soudain devant nous. Une bonne moitié d’entre nous se retrouva au sol, morts ou blessés. C’était terrifiant. Une balle transperça le dessus de mon sac. J’étais dans un état de terreur indescriptible. Je me mis à implorer plus de saints qu’il n’en existe. Collé au sol, je me mis à creuser un trou avec ma pelle. Je craignais que les Russes ne viennent et me tuent à la baïonnette. Au lever du jour, j’étais le seul survivant de notre groupe. J’étais très abattu. La compagnie ne comptait plus que 30 hommes et en avait perdu 126 !  Je reçus ma solde de 46 marks pour 30 jours ! »

Il a donc reçu une prime pour être resté en vie de 1 mark (1 euro) par jour pris sur la solde de tout ceux qui sont morts !

Lors de l’assaut et de la traversée du fleuve Dniestr, Nickel s’esquive avec un camarade et se cache derrière une maison : 30 hommes de sa compagnie sont encore tués. Il échappe aussi aux obus de tout calibre, aux shrapnel (obus à balles, du nom de son inventeur …) que tirent les artilleurs russes avant chaque attaque.

  Des assauts, toujours des assauts ! Chaque « En avant » signe l’arrêt de mort au hasard de nombreux pauvres soldats : « On avait l’impression d’être des condamnés à mort … En avant, marche ! Un feu d’enfer nous accueillit quand on arriva à découvert. Il y eut des cris ça et là. Un soldat qui courait devant moi jeta soudain ses bras en l’air et culbuta en arrière. Les cris des blessés étaient horribles à entendre. » Lors d’une attaque, décrite par Richert, il dit clairement : " Les officiers nous firent sortir de la tranchée revolver au poing ».

Nickel le rescapé de Saint-Ulrich

Nickel se planque sans arrêt, dès qu’il le peut sans éveiller les soupçons. Il a un allié, ce sont les Russes qui tuent régulièrement les sous-officiers qui l’ont vu resquiller et qui n’auront pas le temps de le dénoncer. Il entraine souvent un camarade dans ses promenades à l’arrière, prétextant être perdu et trouve ensuite un moyen de se faire délivrer des attestations de ses « errements ». Il rencontre partout des habitants hagards, souvent des femmes mourantes de faim dont les cabanes ont été détruites : « elle pleurait à fendre l’âme ».

Un jour, il monte à l’assaut d’une tranchée bien défendue et croit au miracle car aucun coup de feu n’est tiré. En arrivant sur la tranchée, il découvre 450 russes levant les bras et désirant se rendre qui le remercient et veulent lui donner leur argent alors que c’est lui qui leur est reconnaissant de ne pas avoir défendu leur position !

 Nickel est confronté au choléra, à la dysenterie qui sévit dans les campagnes et dans les armées et qui causent des morts atroces : « ils se tordaient par terre en tous sens, se tortillaient comme des vers tout en pressant leur bras contre leur corps ». Ses meilleurs amis meurent les uns après les autres ce qui le laissent à chaque fois désespéré.

En août 1915, il a des maux de ventre terribles. Il a perdu 20 kg et se fait hospitaliser en Pologne où il va rester 3 mois. Une fois rétabli, on l’envoie à Memel en Lituanie. Quand il apprend que son bataillon doit être renvoyé au front, il se porte volontaire pour une formation à l’utilisation des mitrailleuses ce qui repousse de quelques mois le risque d’être tué lors de ces assauts insensés. Il se retrouve à Pillau au bord de la mer Baltique et apprécie l’instruction qu’on lui donne. C’est la première fois qu’il voit la mer et est enchanté de son séjour qu’il vit presque comme des vacances. Il y fête le Noël 2015 et est démoralisé de n’avoir aucune nouvelle de sa famille et de ne recevoir aucun paquet au contraire de ses camarades allemands.

L’année 1915 voit la guerre se généraliser partout en Europe. Les Turcs, pensant profiter de la situation attaquent la Russie à revers dans le Caucase. L’Italie se joint aux alliés qui lui ont promis des compensations territoriales importantes, notamment le Tyrol du sud qui sera plus tard rattaché à l’Italie. La Bulgarie, elle, au contraire se rallie aux empires impérialistes. Les états-majors alliés veulent « saigner à blanc » les armées adverses. Français et Britanniques lancent assaut sur assaut en Champagne, en Artois qui réussissent à bousculer un peu les dispositifs allemands, mais au prix de pertes effroyables. Rien que sur le front occidental, les Français, les Belges et les Britanniques ont perdu plus d'un million d'hommes, dont une grande majorité de Français. Les Allemands comptent environ 675 000 soldats tués, blessés ou disparus au combat. Les Allemands innovent en utilisant des gaz asphyxiants ! A l’est, les Allemands remportent des succès spectaculaires, occupant toute la Pologne, la Lituanie et une partie de la Lettonie. Faute de munitions et d’artillerie lourde, les Russes ont perdu près de 2 millions d’hommes, une catastrophe qui va ébranler le régime tsariste. L’année 2015 verra également le début de l’utilisation des avions qui vont s’avérer une arme redoutable sur les différents champs de bataille.

En janvier 1916, Dominique Richert, muni de son certificat de mitrailleur est affecté au 44ème régiment d’infanterie qui se trouve en première ligne en Russie près de Riga. Il est à nouveau confronté avec la violence et l’absurdité de la mort qui frappe à tout moment. Il est chef de pièce et forme les jeunes recrues. Mais il est maintenant une cible pour l’artillerie ennemie : « Soudain, il y eut une explosion d’une violence inouïe. Le sol trembla et je faillis tomber par terre. Je vis s’élever dans les airs un nuage de 100 mètres de haut tandis qu’une masse de mottes de terre volait en l’air. Juste devant moi, quatre obus russes de gros calibre explosèrent avec fracas. Puis, il y eut un feu d’artillerie à vous crever le tympan et à vous en faire voir de toutes les couleurs. Les obus éclataient devant nous, parfois aussi dans la tranchée. Plusieurs soldats étaient ensevelis sous les décombres. Je vis aussi dans la tranchée trois soldats morts ».

Dominique Richert, sergent mitrailleur

Dominique Richert, sergent mitrailleur

En octobre 1916, il obtient, après 27 mois d’engagements sa première permission. Ne pouvant rentrer chez lui, une famille d’Alsaciens vivant dans la vallée du Neckar l’invite chez elle. Il est trop heureux de pouvoir se reposer mais surtout d’échapper au mauvais sort. Evidemment au bout des dix jours, le retour au régiment est difficile. A son retour, on lui annonce que son ami Emile Fuchs d’Erstein a été tué d’une balle en plein front, une nuit qu’il était de garde. Il passe un 3ème Noël au front.

Du 21 février au 18 décembre 1916 a lieu la bataille de Verdun. Le général Von Falkenhayn voulait "saigner l'armée française". Un million d'obus pleuvent en 24 heures. Des hommes et du matériel sont acheminés en masse grâce à la "Voie sacrée" qui relie Bar-le-Duc à Verdun. La plupart des positions perdues sont réinvesties par l’armée française. Au total, 160 000 Français sont morts ou disparus, 143 000 chez les Allemands. Plus de 60 millions d'obus ont été tirés sur une période de dix mois dans "l'enfer de Verdun".

Du 1er juillet au 18 novembre 1916 une offensive franco-britannique est lancée sur le front allemand de la Somme, au nord de Paris. Des dizaines de milliers de Britanniques avancent dans le no man's land. En l'espace d'une journée, l'infanterie britannique perd près de 20 000 soldats, un triste record pour cette armée. Cette bataille est la plus importante de la guerre. Pour la première fois de l'histoire, des chars d’assaut (blindés) sont utilisés par des militaires. Les combats durent jusqu’en novembre. Ils provoquent la mort d'environ 300 000 britanniques et français, et près de 170 000 dans l'armée allemande.

En janvier 1917, Richert est muté au 260ème régiment d’infanterie, en première ligne face aux Russes. Il est immédiatement confronté aux mêmes dangers mortels : « J’étais pris d’une terrible fureur quand j’imaginais la vie agréable que menaient les vrais auteurs de cette guerre. » La température descend jusqu’à moins 38 degrés : « un satané froid de canard » Les jour, les nuits sont interminables. La peur et le froid anéantissent le moral des plus forts. Fin mars, arrive la nouvelle que la révolution avait éclaté en Russie et que la guerre serait bientôt finie ! Le régiment est transféré sur le front français mais les Alsaciens ne doivent pas le suivre ! Dominique se retrouve au 332ème régiment sur le fleuve la Duna. Les rations sont de plus en plus faibles, 750 grammes d’un pain noir par jour. Les soldats ressemblent à des squelettes ambulants. Nickel s’y illustre en récupérant sa mitrailleuse sous un déluge d’artillerie et reçoit pour cela la croix de fer. L’armistice n’ayant pas été signé, il se retrouve en septembre près de Riga où une offensive allemande est imminente. Nickel est atterré car il faut traverser le fleuve pour attaquer les tranchées russes : « Dieu soit loué, notre arrêt de mort est encore suspendu ; les Russes avaient évacué leur position. » Il a droit à sa 2ème permission, 28 jours qu’il passe à Eberbach chez la famille Mattler.

De retour à Riga, il envisage de déserter avec un ami mais la tentative tourne court. Il est promu sergent, se fait appeler « Monsieur le sous-officier » et a droit à une solde de 2 marks par jour, à un lit en fer ainsi qu’à un planton qui s’occupe de ses habits et cire ses bottes. Mais la misère est générale. Il n’y a plus rien à manger. Les hommes et les chevaux erraient partout à la recherche de nourriture. « Ah, quelle pitié ! La guerre est mauvaise pour tous, bêtes et gens ».

Début 1917, les Américains ont intercepté un télégramme secret par lequel l’Allemagne proposait une alliance au Mexique et annonçait son intention de reprendre la guerre sous-marine à outrance. Ils rendent ce télégramme public le 1er mars : le scandale fait basculer l'opinion publique, jusque-là neutre et les États-Unis déclare la guerre à l’Allemagne le 6 avril ce qui va être décisif pour le cours de la guerre.

Le 16 avril 1917, le général Nivelle lance, à 6 heures du matin, son offensive dans le secteur du Chemin des Dames (Aisne), par un temps glacial. C'est une défaite sanglante. Après une relance le 5 mai, le constat de l’échec est définitif trois jours plus tard. Le 15 mai, Nivelle est remplacé par Pétain à la tête de l’armée française. Cette défaite entraine les premières mutineries dans l'armée française, dès le 17 avril. Des unités complètes, soit 30 000 à 40 000 soldats, refusent de monter en ligne. Des dizaines de poilus sont alors fusillés. Au total, environ 740 soldats français sont exécutés pour refus d’obéissance.

       

          En Lettonie, l’armistice est signé avec les Russes. Le sergent Richert sauve encore une jeune institutrice des griffes des bolcheviks avant d’être envoyé sur le front ouest. Il arrive en avril 1918 à Laon dans la Somme « où à 60 km à la ronde, il n’y avait plus une maison debout. Partout on trouvait des Anglais morts ». Il entend les mêmes discours : « nous devions attaquer et enfoncer les lignes anglaises ! cet ordre signifiait encore l’arrêt de mort de beaucoup de pauvres soldats ».

           Il s’enterre à nouveau avec son équipe et leur dit d’attendre la fin de l’offensive. Il considère qu’il est de son devoir de ramener ses gens sains et saufs. « Un schrapnel explosa au-dessus de moi. Comme par miracle, je suis resté indemne. »  A Villers-Bretonneux, il assiste à un combat aérien entre une trentaine d’avions. En juillet, il se retrouve en Lorraine.

Il doit encore préparer une attaque. Cette fois, il se dit qu’il faut en finir et il décide qu’il va déserter pour de bon. Avec Gustave Beck et Pfaff, le 23 juillet, ils mettent au point leur projet : « Le soir tombait. Qu’est-ce que la nuit allait nous réserver, la vie ou la mort. J’avais comme une oppression dans la poitrine, car le coté extrêmement risqué de notre entreprise me tourmentait. J’étais triste de quitter ainsi mes hommes et mes camarades sans pouvoir leur faire mes adieux ». Il faut traverser plusieurs réseaux de barbelés où ils s’écorchent la peau et les uniformes. Ils sautent d’une tranchée à une autre risquant à chaque fois d’être abattu. Ils tombent sur les Français et manquent d’être tués. « Je levai les bras en l’air et répétai : Alsacien, déserteur … Il me tendit alors la main et me tapa sur l’épaule. Ma joie était immenseSauvés ! Il m’est impossible de décrire combien j’étais heureux d’être sain et sauf et d’avoir derrière moi la chienne de vie du front et la faim. Un tel bonheur, un tel sentiment de félicité intérieure, je ne les ressentirai jamais plus ». On l’envoie dans un camp de prisonniers à Saint-Rambert près de Saint-Etienne. Il finit la guerre en travaillant dans la ferme Poizat chez le maire de Saint-Héand.

             En Picardie, puis en Champagne, les Allemands cherchent à rompre le front avant l’arrivée des troupes américaines et lancent plusieurs offensives. Au mois de juillet débute ainsi la seconde bataille de la Marne. Les combats qui font rage tournent à l'avantage des alliés, dirigés par le général Foch, qui lancent de nombreuses contre-offensives. L'aide américaine est déterminante : l'effectif du corps expéditionnaire commandé par le général Pershing s'élève à un million d'hommes en août 1918. Les Allemands ne cessent de perdre du terrain.

               L'empereur allemand Guillaume II abdique le 9 novembre et s’en va tranquillement se réfugier aux Pays-Bas où il récupère une grande partie de son immense fortune ! Nickel écrira : « Nous avons appris que le Kaiser avait filé en Hollande… Ce lascar abandonne tout et décampe, tandis que nous autres, nous avions passé quatre ans de misère parmi les morts, pour rien, trois fois rien. On prend les petits et on laisse filer les gros … ».

Les généraux allemands signent l'armistice le 11 novembre, à 6 heures du matin, dans la clairière de Rethondes, en forêt de Compiègne (Oise). Le traité de paix est signé le 28 juin, dans la galerie des Glaces du château de Versailles. Il établit les sanctions prises à l'encontre de l'Allemagne et de ses alliés de la Triple-Alliance : les réparations, dont le montant n’est fixé qu’en avril 1921 par la commission des réparations, s’élèvent à 132 milliards de marks-or, dont 50 milliards de marks sous forme d'annuités de 2 milliards.

Ce 11 Novembre : « On travaillait dans la forêt lorsqu’on entendit un bruit de trompette … De Saint-Etienne nous parvenait le bruit de salves de canons. Les cloches sonnaient … on se dit : C’est la paix !  Les larmes nous vinrent aux yeux. ... Nous étions tous heureux que les Français aient gagné la guerre, parce que, si ça avait été les Allemands, l’Alsace serait restée allemande et nous, en tant que déserteurs, n’aurions plus jamais pu rentrer à la maison. »

En janvier 1919, il revient dans son village, quitté cinq ans et demi plus tôt : « Les larmes me montèrent aux yeux. Je me mis alors à courir à toute allure pour arriver à la maison. [...] J’étais fou de joie de revoir ma mère. On se serra fort dans les bras l’un de l’autre, au bord des larmes, sans pouvoir dire un mot. »

Cette guerre a fait 10 millions de morts et 8 millions de disparus ainsi que 20 millions de blessés !!! 380 000 Alsaciens-Lorrains ont été enrôlé dans l’armée allemande, 50 000 sont tués et 150 000 blessés.  20 000 autres se sont engagés dans l’armée française.

Nickel retrouve son village, travaille à la ferme avec son père qu’il reprendra plus tard. Il se marie avec Adèle Kayser, la fille du meunier. Il l’a séduite avec ses lettres très bien écrites. Deux garçons, Ulrich et Marcel naissent de cette union. L’hiver venu, il remplit 9 cahiers en allemand d’un seul trait, sans rature et sans fautes d’orthographe, c’est dire la puissance de sa mémoire et de son intelligence qui a enfoui au plus profond de lui toutes les horreurs qu’il a vécues. Il range ses cahiers au grenier et retourne aux travaux des champs. Il apprend enfin le français avec gratitude et est heureux de sa vie de paysan à Saint-Ulrich.     

Mais, dix ans plus tard, Nickel voit d’un mauvais œil l’arrivée au pouvoir d’un certain Adolph Hitler en Allemagne. Il n’aime pas ce fou qui veut venger la défaite allemande de 1918. Il s’inquiète vraiment qu’aucun gouvernement ne songe à l’arrêter avant la catastrophe. Après l’annexion de l’Autriche, les armées allemandes envahissent la Tchécoslovaquie en 1938, puis la Pologne en 1939. L’Angleterre et La France déclarent alors la guerre au despote. Elle sera plus terrible encore que la première.

La déclaration de guerre entraîne l’évacuation du tiers de la population alsacienne (Strasbourg et villes frontalières) dans le Sud-Ouest de la France, l’Université de Strasbourg étant repliée à Clermont-Ferrand. Les Alsaciens sont plus ou moins bien accueillis,

Angèle et Dominique avec leurs deux fils

Angèle et Dominique avec leurs deux fils

En avril 1940, l’Allemagne envahit le Danemark et la Norvège. Le 10 mai 1940, la bataille de France commence par l'invasion par les Allemands du Luxembourg, de la Belgique et des Pays-Bas.

               Après cinq jours de combat, les néerlandais se rendent et les Pays-Bas sont entièrement occupés par l'Allemagne, tandis que la reine et le gouvernement s'exilent à Londres. Les Belges résistent pendant 18 jours et se rendent le 28 mai 1940. Le 4 juin, les débris des armées françaises et anglaises se retranchent à Dunkerque et sont évacués dans des conditions cauchemardesques vers l’Angleterre. Le 14 juin Paris voit les chars allemands sur les Champs Elysées !

Le 15 juin, débute la bataille du Rhin ; à 10 heures du matin 286 bateaux traversent le Rhin en 3 endroits entre Schoenau et Baltzenheim près de Colmar et les Allemands s’infiltrent dans la forêt du Rhin. Les Français n’ont ni avion, ni artillerie, ni DCA ! C’est perdu d’avance. Les Stukas allemands évoluent comme à l’exercice. Le 17 juin Colmar est pris sans combat. Mulhouse est occupé le 18, Strasbourg le 19.

Le gouvernement français demande un armistice, qui est signé le 22 juin à Rethondes où avait été signé l’armistice de 1918. Le 18 juin, à Londres, le général de Gaulle refuse de cesser le combat contre l’envahisseur et lance un appel à le rejoindre pour poursuivre la lutte aux côtés de l'Empire britannique.

               Hitler, tout heureux de sa démonstration de force visite Paris le 23 juin et Strasbourg le 28 juin. Le 18 octobre, il signe un décret secret et annexe l’Alsace et la Lorraine en violation totale de la convention d'armistice. Le gauleiter, Robert Wagner du Pays de Bade est nommé chef de l’administration civile dépendant directement de Hitler. Il se révèle particulièrement violent et répand la terreur dans la plaine qui est sous le choc. Tous les symboles français (langue, livres, noms, prénoms, inscriptions funéraires, affiches) sont supprimés, et l’enlèvement des statues de Kléber et Rapp des places de Strasbourg et Colmar soulève l’indignation. Wagner expulse d’abord vers la France 10 000 Juifs alsaciens et fait confisquer leurs biens. Ce sera ensuite le tour de 40 000 autres alsaciens tziganes et francophiles qui doivent partir sur les routes vers le sud-ouest de la France. En Lorraine, ce sont plus de 100 000 personnes qui sont arbitrairement expulsées vers Lyon à raison de 7 trains de 1000 personnes par jour ! On leur vole évidemment tous leurs biens.

L’Alsace est terrorisée. Il est interdit aux Alsaciens de parler le français. Les rues principales sont rebaptisées Adolf-Hitler. Les parents qui désirent envoyer leurs enfants à l’école doivent les inscrire dans les Jeunesses Hitlériennes. Un sinistre camp est créé à Schirmeck, synonyme de torture, et le camp de concentration du Struthof près du Champ du Feu, devient le camp de la mort. Robert Wagner lance une propagande pour enrôler des volontaires dans les Waffen-SS et dans l’armée allemande mais cela ne tente pas du tout les jeunes alsaciens. Il impose alors en mai 1941 le service du travail obligatoire et le 24 août 1942 la mobilisation obligatoire pour chaque homme de 18 à 35 ans. En 1942, 100 000 Alsaciens et 30 000 lorrains "Français" sont incorporés de force. 90% d’entre eux sont envoyés sur le front russe dont, ils le savent, ils ont peu de chance de revenir. 50 000 Malgré-Nous ne reviendront effectivement pas mais il en mourra autant dans les camps russes que sur le front ! Près de 15 000 jeunes femmes d’Alsace et de Moselle, âgées de 17 à 20 ans, sont enrôlées de force pour travailler dans les champs, les usines ou les services de l’armée en Allemagne. Les Malgré-Elles, dont fait partie ma mère Alice, sont obligées de participer à l’effort de guerre allemand. Pour les jeunes alsaciens qui sont Français avant tout, il est insupportable de se battre contre les Français ou les Alliés.

Nickel ne veut pas que ses fils aient le même destin que lui. Il leur demande de fuir en Suisse comme le font beaucoup de jeunes garçons. Mais l’aventure est risquée car les patrouilles de surveillance ont l’ordre de tirer sur les fugitifs. Les déserteurs qui sont pris par les nazis sont envoyés au camp de concentration alsacien du Struthof ou des milliers de prisonniers, de résistants et d’opposants politiques y sont exécutés.

En représailles, la Gestapo s’attaque aux familles. C’est ainsi que le 1er mars 1943 la Gestapo débarque à la ferme des Richert et embarque Dominique et sa femme Angel pour une destination inconnue. Ils sont envoyés dans le camp de Shelklingen et sont condamnés aux travaux forcés dans une ferme de Gochsen près de Heilbronn. Nos deux époux sont rapatriés en mai 45, totalement brisés. Adèle est gravement malade suite aux mauvais traitements qu'elle a subis.

Malgré toute cette souffrance, il faut retourner aux champs. Nickel reprend sa vie d’avant avec l’aide de ses deux fils revenus au village. Ses fils trouvent les fameux cahiers écrits en 1919 et cherchent un éditeur dans les années 60. Mais personne ne s’intéresse à un journal d’un paysan écrit 40 ans plus tôt en allemand. Nickel dira à son fils, désabusé : « Tu perds ton temps, ils ne voudront jamais les éditer, les allemands resteront toujours des allemands ».

Dominique meurt le 28 mars l977 à Saint-Ulrich dans sa 84ème année. Il repose du sommeil du juste, à l'abri du clocher de son village. Il est parti sans savoir que ses cahiers allaient finalement être publiés. C’est Heinrich Böll, un écrivain allemand, Prix Nobel de Littérature en 1972 qui a reçu un exemplaire du mémoire, et le transmet aux archives militaires de la R.F.A à Fribourg. Ce sont eux qui publient ce texte du paysan alsacien qui sera qualifié de " document exceptionnel " par plusieurs historiens.

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