23 Août 2024
Je ne pouvais pas finir mon ouvrage sans évoquer un charmant petit village un peu perdu en moyenne montagne qui a hébergé pendant huit mois celui que je qualifierai comme le personnage français le plus important du 20ème siècle. Wangenbourg-Engenthal, une des plus anciennes stations touristiques d’Alsace, classée depuis 1929, doit sa réputation à son microclimat et à ses merveilleux paysages qui lui valurent le surnom de « petite Suisse d’Alsace ». A 400 mètres d’altitude, c’est un havre de paix et la quiétude y est héréditaire. De nombreux hôtels accueillaient les clients en quête de calme et de méditation.
Nous sommes en septembre 1939, un certain colonel de Gaulle arrive dans ce petit bourg avec ses valises. Il vient d’être nommé commandant par intérim des chars de la Vème armée du général de Lattre de Tassigny (Yvonne est restée à La Boisserie avec les enfants).
Après l’attaque de la Pologne par Hitler le 1er septembre, la France et la Grande Bretagne ont déclaré la guerre à l’Allemagne le 3 septembre. Le général de Lattre de Tassigny est envoyé protéger l’Alsace, soi-disant à l’abri derrière la ligne Maginot qui ne servira jamais. Depuis 1934, Charles de Gaulle n’a cessé de dire haut et fort, en vain, qu’aucun mur n’arrêterait les chars de Hitler. Il installe son état-major à Wangenbourg, à 35 kms de Saverne où stationne la 5ème armée. Depuis les années 20, de Gaulle s’est fait remarquer par ses ouvrages sur les changements qu’il juge indispensable pour « rénover » l’armée. A Wangenbourg, il rédige de nombreux rapports sur l’inefficacité des moyens à sa disposition. Il pressent la débâcle qui va se réaliser en juin 1940.
Charles de Gaulle est un parfait inconnu sauf pour l’Etat-major de l’époque qui le jugeait déjà comme un parfait emmerdeur. Il est né à Lille le 22 novembre 1890 à Paris. Il est le troisième de cinq enfants. Son père est professeur de philosophie et exercera une influence décisive sur son caractère. Homme de culture, il transmettra à son fils le sentiment de la dignité de la France et le sens de l’histoire. Charles mettra toujours au premier plan le destin de la France avant son propre destin. Il n’était pas un élève brillant ; plutôt indiscipliné, il préférait passer son temps à lire ce qui forgera sa connaissance de la nature humaine. Ses nombreuses réflexions témoignent de sa parfaite analyse des situations et explique son acharnement à vouloir forcer le destin.
C’est à l’âge de quinze ans que Charles décide de devenir militaire parce qu’il pense qu’il n’y a que l’armée où il pourra exercer son idéal patriotique et influencer la politique de son pays. Car, très tôt, il dit à ses proches qu’il aura un destin national (Roosevelt, le président américain le surnommait d’ailleurs « la Jeanne d’Arc » tellement l’homme l’agaçait.).
Charles entre à Saint-Cyr en 1908 et en sort, quatre ans plus tard, diplômé à la 13ème place avec le grade de sous-lieutenant. Il est affecté au 33ème régiment d’infanterie à Arras, commandé … (étrangeté du hasard) … par le colonel Pétain ! A 56 ans, ce dernier, à deux ans de la retraite, a été « placardisé » et n’espère plus grand-chose. Pétain devine immédiatement les immenses qualités de ce jeune homme et les deux hommes s’apprécient pendant ces deux années qui précèdent le cataclysme qui va s’abattre sur l’Europe. Tout les sépare déjà ; Pétain est un fervent partisan de l’artillerie à outrance alors que de Gaulle prône la supériorité d’offensives conjuguées entre chars et aviation. Pendant la guerre de 1914 - 1918 leurs destins vont connaitre des sorts diamétralement différents !
Charles de Gaulle entre en guerre en 1914 avec fougue et est convaincu que la France ne peut que gagner. Son enthousiasme va être cruellement étrillé car dès aout 1914, il est blessé par balle à la jambe. A peine remis, le revoilà blessé à la main en février 2015. En mars 2016, il prend un coup de baïonnette dans la cuisse gauche près de Verdun et est fait prisonnier par les Allemands. Tenu pour mort au combat, Charles de Gaulle est « cité à l’ordre de l’armée ». Il est envoyé à la prison d’Osnabrück en Westphalie. Il fera cinq tentatives d’évasion, ce qui lui vaut d’être transféré dans une dizaine de camps différents pendant ses trente-deux mois de détention. Il est libéré en novembre 1918, amer et dépité, estimant n’avoir servi à rien alors que le général Pétain, contre toute attente, est devenu un héros national !
Pétain, dans les faits, n’a en rien mérité la légende du « vainqueur de Verdun » qui a fait de lui un mythe. Le 24 février, le général Joffre le nomme au commandement de la place de Verdun et le convoque pour le 25 au matin à son QG de Chantilly. La situation sur le terrain est désespérée. Le général de Castelnau prend sur place, le même jour, l'initiative de faire passer la Meuse à son corps-d'armée pour éviter la perte de la place forte et enraye ainsi l'avancée allemande. Pendant ce temps, Pétain, notoirement connu comme homme à femmes est au lit avec sa maitresse à l’hôtel Terminus à la gare du Nord ! Après avoir récupéré "ses vêtements" et son ordre de mission, Pétain passe la journée du 25 sur les routes enneigées pour prendre son nouveau poste. Sauf qu'il est terrassé par une pneumonie et reste au lit pendant deux jours. Ou diable a t'il donc pris froid ? Selon les historiens, c'est le général Nivelle qui va sacrifier des dizaines de milliers de poilus pour gagner cette bataille de Verdun ! Le mythe de Pétain a ensuite été créé par les journalistes avec l’accord des politiques qui veulaient se débarrasser du général Joffre dont on veut effacer les échecs successifs. Pétain, n’a passé que deux mois à Verdun mais cultivera ensuite sa réputation de défenseur de ses hommes, soucieux de préserver leur vie. Il est vrai qu'en celà il se distinguait des autres généraux de l'époque notemment de Nivel surnommé "le boucher". La popularité de Pétain (promu maréchal en 1918) expliquera largement l'aveuglement avec lequel les Français lui feront confiance en 1940.
En 1922, de Gaulle est admis à l’Ecole supérieur de Guerre, puis retrouve Pétain en 1925 au Conseil supérieur de guerre. Grâce à l'appui du maréchal Pétain, il est affecté en novembre 1931 au secrétariat général de la Défense nationale à Paris. Ce poste est capital, car c'est l'occasion pour lui d’approcher les acteurs politiques et de s'initier aux affaires de l'État. Le 25 décembre 1933, il est promu lieutenant-colonel.
Charles de Gaulle développera ses théories militaires pendant l’entre-deux guerres et publier La Discorde chez l'ennemi (1924), Le Fil de l'épée (1932), Vers l'armée de métier (1934) et enfin La France et son armée (1938).
C’est ce dernier livre qui va brouiller les deux hommes. Philippe Pétain avait demandé à de Gaulle de préparer un livre sur la vie du soldat pendant la dernière guerre qu’il souhaite ensuite publier sous son propre nom. De Gaulle s'est donc consacré pendant deux ans à ce travail de « plume ». Mais, lorsque le maréchal veut confier la suite du travail au colonel Audet, de Gaulle se sentant blessé, l'ouvrage est mis au placard. En 1938, de Gaulle décide de publier sous son nom le texte du Soldat, et en avertit Pétain, qu'il cite dans la préface comme « inspirateur de l'ouvrage ». Leur brouille sera définitive.
En décembre 1934, Charles est présenté à Paul Reynaud, député du centre droit et plusieurs fois ministre. C’est lui qui va propulser Charles sur le devant de la scène politique. Mais la victoire du Front populaire en 1936 va anéantir leurs espérances de pouvoir influencer les évènements à venir.
De 1937 à 1939, dans la continuité de ses idées et de ses écrits, de Gaulle reçoit le commandement du 507e régiment de chars à Metz. Mon grand-père paternel Charles, sergent dans ce même régiment, se souviendra toute sa vie de ce grand bonhomme qui, du haut de ses 1,93 mètres en imposait à tous. Sa devise est « Toujours le plus » ! De Gaulle organise des manœuvres et des défilés pour convaincre du bien-fondé de ses idées. Il impressionne ses soldats en montant systématiquement dans le char de tête, casqué et habillé comme eux. Ses détracteurs le surnomment le colonel « motor ».
A Wangenbourg, de Gaulle habite un deux pièces avec salle de bains au 1er étage de la maison Rèbre au 2 rue du Nideck, non loin de son bureau situé dans la maison Jung. Il sympathise avec François Rèbre qui se trouvait également à Verdun en 1916 mais du côté allemand car les alsaciens avaient été incorporés de force dans l’armée allemande. Pendant ses huit mois de séjour, il se démène comme un diable, visite le front, fait des allers-retours à Paris, réfléchit et écrit beaucoup. Il veut encore convaincre de rassembler les 3000 chars français sous une seule autorité et rédige un mémorandum « l’avènement de la force mécanique ». Mais sa voix se perd dans le désert politique de l’époque.
Le 10 mai 1940, Hitler (qui a lu les livres de de Gaulle) lance une offensive d’envergure avec 4 divisions blindés aux Pays-Bas, en Belgique et au Luxembourg pour contourner la Ligne Maginot et prendre les Français à revers. De Gaulle est envoyé à la hâte sur le front commander la 4ème division cuirassée en cours de constitution mais il est trop tard. Il quitte Wangenbourg sans savoir ce que les évènements lui réservent. On peut dire qu’il endosse à ce moment-là l’uniforme de chef de guerre qu’il ne quittera plus, convaincu qu’il a raison envers et contre tout. Ses derniers mots à son hôte, François Rèbre, ont été : « Ne perdez pas confiance ! Aux moments les plus sombres de son histoire, il s’est toujours trouvé quelqu’un pour prendre en main la destinée de la France. Il y a eu Jeanne d’Arc, Turenne, Clemenceau ; la France sera encore sauvée … peut-être un militaire … » !
En attendant, la défaite est totale : c’est bien moins le nombre et la qualité des matériels qui sont en cause que leur usage stratégique et opérationnel : « les mille paquets de trois chars français contre les trois paquets de mille chars allemands », selon la boutade du général Delestraint.
Après la percée de Sedan par les Allemands, le 15 mai, Paul Reynaud, Président du Conseil des ministres nomme de Gaulle général de brigade et sous-secrétaire d’Etat à la Guerre et à la Défense Nationale et le maréchal Pétain comme vice-président du Conseil ! C’est peu dire que les deux hommes se revoient au plus fort de l’histoire du pays et prendre deux chemins totalement opposés. A Dunkerque, 400 000 soldats britanniques, français et belges sont bloqués par 800 000 allemands. L’évacuation et rapatriement en Angleterre tourne au désastre. Il y aura 20 000 morts de chaque côté. Paris est occupée le 14 juin 1940. Le 17 juin Paul Reynaud démissionne depuis Bordeaux et le Président Lebrun nomme Pétain à sa place pour demander un armistice à Hitler. Le même jour, de Gaulle s’envole pour Londres d’où il lance son fameux appel du 18 Juin à tous les officiers et soldats qui se trouvent en territoire britannique ou qui pourraient s'y trouver à le rejoindre et à continuer les combats.
Wangenbourg est occupée par les Allemands dès le 17 juin 1940. Commence alors quatre années de résistance dans la clandestinité avec l’organisation de filières d’évasion de prisonniers évadés ou réfractaires à l’incorporation de force qui se cachaient dans les forêts. Le chemin de 20 kilomètres vers la liberté passait par les cols du Schneeberg, du Hoeffenwasen et du Donon pour rejoindre par la gare de Raon l’Etape La France Libre. Les « passeurs » de Wangenbourg ont ainsi permis à près de 380 personnes de s’échapper de l’Alsace annexée et de l’incorporation de force dans l’armée allemande.
Charles de Gaulle n’aura de repos tant que la Nation n’aura pas été reconstituée autour des valeurs de Liberté, Fraternité et Egalité. Son obstination jusqu’au-boutiste et son caractère en acier-trempé ont sauvé la nation française en résistant notamment à Churchill mais surtout au président américain Roosevelt qui voulait faire du pays une administration américaine.
De Gaulle, en tant que président du gouvernement provisoire français, n’a cessé de s’opposer aux américains pour la reconquête du territoire national. En novembre 1944, la 2ème division blindée du général P. Leclerc stationne à Lunéville. Le général Eisenhower, commandant la IIIème armée américaine, veut que Leclerc passe le Rhin à Haguenau. Celui-ci, qui avait déjà libéré Paris sans l’accord des Américains, interprète encore mal ces ordres et décide de foncer par les cols mal défendus car impraticables du Dabo, de Phalsbourg et de La Petite-Pierre. Il libère Saverne le 22 novembre et dans la foulée Strasbourg le 23 novembre 1944. De Gaulle vient immédiatement en Alsace pour célébrer le retour à la France, à Strasbourg la veille de Noêl 1944. A Erstein, il rend hommage aux soldats de la 2ème D.B. et de la Brigade Alsace-Lorraine, Il fête encore la libération à Sainte-Marie-aux-Mines, à Altkirch et Mulhouse, libérée par le général de Lattre de Tassigny. Mais un retournement de situation inattendue va provoquer une dernière panique chez les Alsaciens.
Hitler a lancé le 16 décembre 1944, une offensive surprise (avec trois cent mille hommes) dans les Ardennes qui perce les lignes américaines sur une centaine de kilomètres. Le commandant en chef des armées alliés, le général Eisenhower, craignant une deuxième attaque vers l'Alsace, donne l'ordre à ses généraux de quitter Strasbourg et Mulhouse et de se replier sur les crêtes des Vosges. De Gaulle s’y oppose fermement et donne l’ordre au général de Lattre de Tassigny qui occupe Mulhouse et aux gouverneurs militaires de Strasbourg et de Metz de tenir leurs positions.
Le 31 décembre 1944, Hitler lance effectivement six divisions d’infanterie et une division blindée (cent mille hommes) traverser le Rhin entre Wissembourg et Haguenau. De Gaulle écrit au général Eisenhower, au président Roosvelt et à Churchill pour réediter sa demande de ne pas abandonner l'Alsace. Il se rend à Versailles le 3 janvier 1945 où arrive également Churchill. De Gaulle expose les raisons politiques qui s'oppose à la vision militaire de la situation. Eisenhower se tourne alors vers Churchill et lui demande : "Mais enfin, c'est quoi le plus important ? ". Churchill fronce les sourcils et pointe son cigare sur la carte en direction de Strasbourg et dit sans hésiter : " C'est ça ! " . Eisenhower change alors d'avis et donne l'ordre de suspendre les ordres de repli. Cette décision entrainera des batailles sanglantes dans tout le nord de l'Alsace causant la mort de centaines d'Alsaciens, de 7000 soldats français, 11 000 américains et 22 000 allemands.
Comme le général RAPP en 1815, De Gaulle a sauvé l’Alsace d’une catastrophe car les Allemands auraient vraisemblablement commis un carnage sur la population. Cet acte expliquera la fidélité durable des alsaciens au Général. Il sera acclamé comme un héros national à Metz, Saverne, Colmar et Strasbourg en févier 1945. Il s’écrit « Du Rhin, nous ferons une route française ! ». Il reviendra dix fois en Alsace, plus qu’aucun autre président français et y fera ses discours les plus retentissants. En novembre 1959, il visita 82 communes alsaciennes et prononça 17 discours ! Deux mois avant sa mort, il viendra encore une fois incognito faire visiter le Mont-Sainte-Odile, Wangenbourg et Dabo à son petit-fils pour lui conter ses aventures. Si de Gaulle a aimé l’Alsace, l’Alsace, elle, a adoré de Gaulle…
A Wangenbourg on cultive le souvenir du colonel de Gaulle au travers d’expositions, de visites guidées et de circuits pédestres retraçant les lieux emblématiques qu’il a traversé (se renseigner auprès de l’office de tourisme). De nombreuses festivités sont présentes durant l’année, telles que les médiévales au château de Wangenbourg au début du mois de septembre, un marché de noël, la fête de la Montagne et biens d’autres.
Saviez-vous que cet homme :
- A donné le droit de votre aux femmes françaises en 1944 lorsqu’il dirigeait le gouvernement provisoire à Alger !!
- A mis en place la Sécurité sociale obligatoire en France en 1945 par ordonnance !
- A instauré la Participation des salariés et de l’intéressement aux bénéfices des entreprises en 1959 ! On peut d’ailleurs se demander pourquoi aucun gouvernement n’a depuis jugé qu’il fallait développer cette mesure d’équité et d’équilibre entre le peuple et les puissances du capital.
- A donné le droit des femmes à ouvrir un compte bancaire à leur nom et à travailler sans le consentement de leur époux en 1965 !!
Quel homme politique français peut se targuer d’avoir permis tant d’avancées sociales pour son peuple ?
Le Parc Hotel, anciennement le Grand Hôtel, géré depuis 1848 par la même famille, a traversé les crises, notemment trois guerres dévastatrices et deux périodes d'occupation. Une plaque commémorative indique que c'est ici que le général de Lattre de Tassigny a exercé les fonctions de chef d’Etat-Major de la 5ème armée d’Alsace en 1939.