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Histoires et Lieux d'Alsace

D’ Germain Muller réconcilie les Alsaciens avec leur histoire

        En 1944, la libération de l’Alsace a été longue et difficile. D’abord parce que les Allemands se sont obstinés à résister sur ce qu’ils appelaient leur frontière naturelle. Ensuite parce que les généraux américains et le général De Gaulle n’étaient pas d’accord sur les priorités. En novembre 1944, la première division blindée du général de Lattre de Tassigny perce la trouée de Belfort et libère Mulhouse le 21. Au même moment, la 2ème DB du général Leclerc contourne Saverne par La Petite Pierre et fonce sur Strasbourg qu’elle libère le 22 novembre. La bataille de Colmar durera trois semaines et coûtera plus de vingt mille tués à chaque camp. Toute l’Alsace est enfin libérée en mars 1945.

        C’est évidemment l’euphorie partout. Les Alsaciens fêtent la victoire plus passionnément qu’ailleurs car la plaine a été souillée pendant quatre longues années par l’occupant nazi. Quatre ans ! 1500 jours ! C’est très long lorsqu’on vous arrache votre identité. Interdiction de parler français ! Les rues avaient été germanisées. Du jour au lendemain, tous les enfants avaient dû parler, écrire, penser en allemand. Plus de 100 000 jeunes Alsaciens ont été incorporés de force dans la Wehrmacht dont 30 000 sont morts au grand désespoir de leurs parents.

        Comment se remettre d’une telle tragédie ? De plus les Alsaciens vont devoir se confronter entre eux : ceux qui étaient partis en 1940, ceux qui ont collaboré et les autres se regardent maintenant en chien de faïence !

        Un homme va consacrer sa vie à restaurer l’âme et l’identité alsacienne : Germain Muller ! Deux générations vont retrouver confiance et amour en leur patrie grâce à lui …

D’ Germain Muller réconcilie les Alsaciens avec leur histoire
D’ Germain Muller réconcilie les Alsaciens avec leur histoire
D’ Germain Muller réconcilie les Alsaciens avec leur histoire
D’ Germain Muller réconcilie les Alsaciens avec leur histoire

          Germain Muller est né le 11 juillet 1923 à Strasbourg. Son père, secrétaire aux Beaux-Arts du Palais du Rhin, est originaire de la vallée de Saint-Amarin, dans le Haut-Rhin et sa mère de Dossenheim dans le Bas-Rhin. Son grand-père paternel était boulanger et maire de son village de Ranspach près de Saint-Amarin ; son grand-père maternel était instituteur à Dossenheim-sur-Zinzel, près de Saverne. En 1938, Germain est renvoyé du lycée Kléber pour manque d'assiduité et entre au lycée Fustel-de-Coulanges. Strasbourg est évacuée le 2 septembre 1939 et la famille Muller part pour Périgueux comme 500 000 autres alsaciens. Germain poursuit sa scolarité dans un lycée bordelais et suit des cours d’art dramatique au Conservatoire de Bordeaux, dont il sort major. En 1941 sa famille rentre en Alsace et Germain entre à la Theater Akademie de Karlsruhe. Il en sort diplômé l’année suivante et trouve un emploi de comédien et d'assistant metteur en scène à Würzburg. Mais le destin l’entraine malgré lui et il est incorporé de force dans la Wehrmacht à Ratisbonne (Bavière). En octobre 1943, il déserte et fuit en Suisse. En représailles, sa famille est brièvement arrêtée à leur domicile et lui-même est condamné à mort par contumace par le tribunal militaire de Strasbourg en septembre 1944.

        En novembre 1944, c’est avec la 1ère armée sous les ordres du général de Lattre de Tassigny qu'il rentre en Alsace. A Strasbourg, il retrouve son ami Raymond Vogel et, ensemble, ils se font embaucher par la nouvelle « Radio de Strasbourg ». Germain présente tous les matins les informations en … alsacien. Mais il a déjà en tête de créer un cabaret. En février 1945, les deux amis créent « La société artistique La Fontaine » au 6 rue des Francs-Bourgeois. Leurs objectifs : promouvoir la culture française par le théâtre. Ils créent une revue « V’là le printemps » du genre « music-hall » avec sketches et chansons en … français. Il y rencontre le pianiste Mario Hirlé et sa future femme, Dinah Faust. Si les critiques sont unanimement bons, le succès populaire n’est pas au rendez-vous. Germain écrit une chanson que Mario Hirlé met en musique : « Steckelburjer Swing » (le swing du strasbourgeois de souche) qui va changer leurs vies car le texte est en bon alsacien. Germain est ovationné à chaque prestation et ce swing connait un énorme succès populaire qui est rapidement sur les lèvres de tous les Alsaciens. Germain comprend alors qu’il doit écrire ses revues en alsacien.

D’ Germain Muller réconcilie les Alsaciens avec leur histoire

        Nos nouveaux compères, Germain et Mario, organisent également des concerts, des bals ou kermesses. C’est ainsi que le 8 novembre 1946, ils vont accueillir Edith Piaf qui vient de faire un triomphe à Paris avec « La vie en rose » pour une tournée en Alsace et pays de Bade. La tournée de cinq semaines est un succès et les nouveaux amis se promettent de refaire une tournée en 1947.

        Cette deuxième tournée va resserrer les liens d’amitié et de complicité entre tous nos jeunes artistes. Edith Piaf a emmené dans ses bagages les Compagnons de la Chanson qui vont connaitre là leurs premiers succès. L’ambiance du groupe est telle qu’ils éprouvent les plus fortes émotions lorsque la tournée prend fin. Edith Piaf rompt sa relation avec Yves Montand et exprime ses sentiments dans des lettres à Germain : « J’avais très mal quand vous êtes parti ou plutôt quand je suis partie … Revenez vite pour que je puisse voir vos yeux sans taches … Nous avons tant de choses qui nous rapprochent … Que n’êtes-vous pas tout le temps à Paris ? Je suis triste de vous savoir loin … J’aime votre photo, vous êtes ainsi plus près de moi … Vous me manquez … ». Edith reviendra chanter en Alsace et ils resteront amis.

          Dans cette même année, Germain, Raymond et Mario fondent un cabaret satirique en alsacien-français maintenant, « Le Barabli » (parapluie en alsacien francisé). Ils sont convaincus que s’attaquer aux fonctionnaires, bourgeois et politiques de tous bords leur attirera la sympathie du public alsacien. La langue alsacienne fourmille pour cela d’expressions imagées des plus drôles. Ils se lancent avec leurs familles et le succès est immédiatement au rendez-vous. Germain Muller et Raymond Vogel ont l’idée d’animer une émission publique de Radio Strasbourg, « Le Parasol », où la joyeuse troupe exhibe ses chansons et ses textes sur les places publiques de toute l’Alsace. « Ce fut une expérience considérable pour Germain qui affrontait le public sans fard ni projecteur ».

        Le Barabli s’installe au Ciné Bal de l’Aubette, place Kléber, et fait salle comble chaque année pendant plusieurs semaines. Les titres de chaque revue donnent le ton :

-       Un Wenn es Katze räjt :                Et s’il pleuvait des chats

-       Beesi Zunge :                                Mauvaises langues

-       Enfin, redde m’r nimm devun :    N’en parlons plus (de cette satanée guerre)

-       Do kummsch nemmi mit :            On ne comprend plus rien

-       E lüs im Krut :                              Un pou dans la choucroute

-       S'Narreschiff   :                             La nef des fous  ….

        Germain dénonce sarcastiquement et sans complaisance le ridicule de tous les phénomènes d’après-guerre ; « ils disaient tout haut ce que les Alsaciens osaient à peine penser tous bas ». Il s’attaque notamment à la « Chambre civique », tribunal inquisiteur qui traquait les Alsaciens qui auraient collaboré. Interrogé sur le danger subversif que représentait alors le Barabli, le préfet Paira dira : « Ce n’est pas le Barabli qui nous ridiculise, nous nous en chargeons journellement nous-même ».

        Mais Germain défend également la langue alsacienne dont il sent venir la veillée funèbre. Il disait : « L’alsacien est la langue de la résistance à l’envahisseur d’où qu’il vienne ». En 1949, il écrit sa pièce majeure, « Enfin… redde m’r nimm devun »  (Enfin… n’en parlons plus !) qui retrace les événements traumatisants des cinq années de guerre de manière sensible et humoristique, si bien que beaucoup d’Alsaciens s'y reconnaissent. La chanson la plus connue est composée avec Mario Hirlé dont le refrain dit : « Mir sin schins d’Letschte, ja d’Allerletschte von denne Laetze wo noch so babble wie de Schnawwel ’ne gewachse ésch » (« Nous sommes, paraît-il, les derniers, les tout derniers de ces tordus qui parlent encore tel que le bec leur a poussé »).

          Le Barabli est aussi une histoire de famille. Dès l’origine la mère de Germain, Augustine, gère la petite entreprise, crée les costumes … Sa sœur fait partie de la troupe. Le 20 mars 1952, Germain épouse sa partenaire Dinah Faust qui lui donnera trois enfants. Ils vont donner toute leur énergie et assurer le spectacle du cabaret pendant 44 ans. 

D’ Germain Muller réconcilie les Alsaciens avec leur histoire
D’ Germain Muller réconcilie les Alsaciens avec leur histoire
D’ Germain Muller réconcilie les Alsaciens avec leur histoire
D’ Germain Muller réconcilie les Alsaciens avec leur histoire
D’ Germain Muller réconcilie les Alsaciens avec leur histoire
D’ Germain Muller réconcilie les Alsaciens avec leur histoire

         En 1959, Germain Muller se présente aux élections municipales et sera pendant 30 ans, de 1959 à 1989, adjoint au maire de Strasbourg, chargé du théâtre, de la musique et du tourisme. Il est pendant près de vingt ans le « ministre de la Culture » de Pierre Pflimlin, l’ancien ministre et Président du Conseil avant l’avènement du général De Gaulle. Il présidera le Centre dramatique de l’Est (CDE), devenu Théâtre national de Strasbourg (TNS) en 1968, et deviendra encore le Président de l’Opéra du Rhin.

        Un certain Jacques Martin commence sa carrière à la télévision sous le pseudonyme de Ducerf à Télé-Strasbourg où il anime l’émission « Pas très show ». Il rejoint et fait partie de la troupe du Barabli de 1959 à 1962. Par amitié pour Germain Muller, il participe à ce qui devait être le dernier spectacle du Barabli, lors du réveillon du Nouvel An 1989. De fait, sous la pression du public, il y en aura encore un autre en 1992

        Homme de conviction, il sera pendant près de 30 ans, un acteur incontournable de la vie politique et culturelle strasbourgeoise.

        Après plusieurs attaques cérébrales, il décède le 10 octobre 1994 ; il est une figure majeure du 20ième siècle alsacien. Avec lui disparait l’ardent défenseur de la langue et de l’identité alsaciennes.

        Le flambeau est repris par l’un de ses partenaires de scène, Roger Siffer qui crée en 1984, « La Choucrouterie » qui existe toujours et qui rend régulièrement hommage à notre Germain.

Dinah et Germain Muller

Dinah et Germain Muller

Le Barabli revient ...

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