29 Avril 2021
On ne peut pas parler de l’Alsace sans évoquer le peintre, illustrateur et caricaturiste qu’a été Hansi. Il est mondialement connu pour ses dessins et caricatures. Mais le personnage est des plus troublant car sous ses dessins satiriques pour enfant, touchants de naïveté et ses textes, se cache de véritables diatribes racistes qui appellent à la haine et qui déstabilisent l’humaniste alsacien.
De son vrai nom, Jean-Jacques WALTZ, il est né à Colmar le 23 février 1873. Sa famille, installée en Alsace depuis le 17ème siècle, subit, comme tant d’autres, l’annexion de l’Alsace en 1871 dans sa chair. Jean-Jacques vit mal ses jeunes années avec ses professeurs allemands du lycée « impérial » (l’actuel lycée Bartholdi). Ceux-ci s’avèrent de piètres éducateurs qui brillent surtout par leur bêtise et arrogance. Jean-Jacques écrira : « Quand dans la journée j'avais été brutalisé au lycée boche, quand le professeur d'allemand nous avait enseigné que la langue allemande était la plus belle et la plus ancienne de toutes les langues, quand le professeur d'histoire avait insulté nos pères et tous les Français, en remontant jusqu'au temps de Charlemagne, quand le professeur de français, originaire de Koenigsberg, nous avait prouvé que ni les Français ni les Alsaciens ne savaient leur propre langue et que ce n'est qu'à Koenigsberg que l'on parle le français correctement, quand, à mon retour du lycée, d'où tous les jours je rapportais quelques gifles et quelques heures d'arrêts, j'avais rencontré les officiers insolents battant le pavé de notre ville, les fonctionnaires, laids et arrogants, et que je rentrais chez moi, triste et découragé, alors, pour me consoler, mon père me racontait combien notre petite ville était belle du temps français. »
Cette mauvaise expérience va forger à vie son caractère francophile radical et sa haine de l’occupant allemand ce que lui reprocheront ensuite beaucoup d’alsaciens. Sa résistance prendra la forme de dessins satiriques de l’occupant dont il souligne l’allure grotesque alors que le peuple alsacien est représenté un peu naïvement, patriote et malicieux. Mais c’est aussi un amoureux de sa région natale qu’il reproduit magnifiquement dans ses aquarelles.
Il commence une carrière de dessinateur dans une usine textile à Cernay, puis aux établissements Herzog à Logelbach. Il réalise ensuite ses premiers dessins satiriques ridiculisant les Allemands qu'il publie dans le bulletin de l'Association des étudiants en pharmacie de Strasbourg. Il signe ses dessins du pseudonyme Hansi qui est le diminutif germanique de Jean « Hans » suivi du « J » pour « Jakob » (Jacques) par lequel il deviendra très connu en France.
En 1908, Jean-Jacques Waltz publie chez Bader le livre « Der Professor Knatschké », où il ridiculise et se venge de son ancien professeur et proviseur du Gymnasium de Colmar, nommé Gustav Gneisse. Cette caricature de l’Allemand va connaitre un succès fulgurant (100 000 exemplaires vendus). D’après Charles Spindler, « Hansi s’est inspiré directement du dessinateur Heine du « Simplicissimus ». Le texte réédite toutes les blagues courantes contre les professeurs qui ont amusé pendant des générations les lecteurs des « Fliegende Blätter » et des autres feuilles satiriques allemandes. Beaucoup mieux que l’auteur du Knatschké, Julius Stinde dans sa « Famille Buchholz » avait analysé et persiflé ce genre de type. Or, ce livre avait eu beaucoup de succès en France dans les années 1880, et si le Knatschké a retrouvé le même succès, il en a été redevable d’abord à l’oubli dans lequel Stinde était tombé, et ensuite à la faveur dont ce genre de plaisanterie facile contre les Allemands jouissait à une époque où ils menaçaient par leurs bravades le repos de l’Europe. C’était une petite vengeance et une satisfaction pour le sentiment patriotique des Français. Le reproche qu’on peut faire à Hansi, c’est de s’être dérobé au devoir incontestable de l’Alsacien de faire le médiateur, d’avoir feint d’ignorer les qualités des Allemands et d’avoir exagéré leurs travers, aux dépens de la vérité. Sous ce rapport, son influence a été néfaste, et elle l’est encore devenue davantage depuis la guerre, car il a voué la même haine aux Alsaciens qui ne sont pas de son avis. Enragé anticlérical et partisan de l’assimilation à outrance, il a traîné dans la boue aussi bien l’abbé Haegy que M. Alapetite ».
Hansi et ses caricatures
Dès lors, Hansi multiplie les publications qui lui attirent de nombreux procès et condamnations de la part des autorités allemandes. Son slogan « Ne pas se laisser assimiler » déchaine passions ou haines jusqu’à nos jours. Il est vrai qu’il est sans arrêt dans la provocation et qu’il s’en prend aussi bien aux « boches » qu’aux courants autonomistes ou à ceux qui ne pensent pas comme lui.
Ses représentations d’une Alsace idéale vont séduire un public français et entretenir la nostalgie de celui-ci pour la province perdue. Le public alsacien, lui, trouve que la représentation « folklorisée » de l’Alsace et des alsaciens est trop naïve et enfantine. Ses contemporains alsaciens n’aimeront pas l’homme dont le caractère trop haineux les dérange.
Hansi publie en 1912, « L’histoire d’Alsace racontée aux petits-enfants » qui connait un énorme succès (50 000 exemplaires vendus). On peut se demander à qui est destiné ce livre étonnant car il est écrit en français et publié à Paris alors que les enfants alsaciens ne parlent pas le Français à ce moment-là de l’histoire ! Plus graves sont les manipulations réalisées par Hansi pour faire croire que l’Alsace appartient à la France depuis toujours et que son histoire est idyllique. Il idéalise, par exemple, la prise de Turckheim par Turenne en 1675 mais oublie de faire état des horreurs commises par l’armée de ce dernier sur la population de Turckheim. Lors du procès que lui intente les autorités allemandes, le président du tribunal déclare que ce livre est « un pamphlet de mauvaise facture » et condamne Jean-Jacques Waltz à une amende de 900 marks et trois mois de prison avec sursis.
L'oncle Hansi raconte son histoire d'Alsace aux enfants français
Jean-Jacques Waltz récidive, en 1913, en publiant « Mon village, ceux qui n’oublient pas » où il décrit et caricature la nostalgie d’un village du nord de l’Alsace qui rêve de sa vie d’avant l’annexion (75 000 exemplaires imprimés de son vivant) où il nargue encore les autorités allemandes.
Le 18 janvier 1914, sortant du théâtre, Jean-Jacques Waltz entre en compagnie d’amis au Café Le Central. Lorsque deux jeunes lieutenants allemands se lèvent pour quitter l’établissement, Hansi allume un morceau de sucre afin de désinfecter l’atmosphère ! Tout le monde rie de la facétie, sauf la serveuse qui, indignée, en informe deux autres militaires allemands attablés et qui portent plainte. Le 26 mars a lieu le procès à Colmar. Waltz est reconnu coupable et est condamné à trois mois de prison ferme, considéré comme récidiviste après l’affaire Gneisse. Il va passer 12 nuits en prison (du 18 au 31 Mai)
Le 9 juillet 1914, le procès de Leipzig le condamne à un an de prison pour excitation à la haine. Il fuit alors en Suisse et s’engage en août 1914 dans l’armée française au début de l’affreuse guerre. Les autorités allemandes mettent sa tête à prix pour 5000 marks, arrête son père et ses frères. Sa haine des Allemands devient inextinguible.
Pendant la guerre, il est nommé lieutenant au service de la propagande où il s’occupe notamment d’envoyer des tracts de désinformation sur les troupes allemandes par avion ou ballons pour leur saper le moral. Ses rêves d’enfant de voir l’Alsace libérée dépasse tout ce qu’il pouvait imaginer. Il veut faire partie des libérateurs et se démène comme un diable pour être le premier à fouler le sol d’Alsace en novembre 1918. Il défile en tête du 127e Régiment d’infanterie qui entre à Colmar le 18 novembre. Il reçoit la Légion d’honneur et la Croix de guerre avec palme (alors qu’il n’a pas tiré un seul coup de feu !).
En 1919, Hansi publie le « Paradis tricolore » et « L’Alsace heureuse », largement autobiographique, où il se venge et laisse libre cours à sa joie de voir l’Allemagne vaincue. Son orgueil de vainqueur l’y fait se mettre en scène, en tenue militaire avec le pantalon rouge français, au milieu du défilé de Colmar. Il mélange l’histoire de sa province avec son histoire personnelle et est déconnecté de la réalité dramatique que vivent les Alsaciens à ce moment-là car les Français pratiquent les mêmes voire pires méthodes d’assimilations. Les ventes de ses publications en France lui font gagner beaucoup d’argent avec lequel il s’achète une maison au 9 boulevard du Champ-de-Mars.
En 1923, à la mort de son père, il le remplace comme conservateur du fameux musée Unterlinden dans l’ancien couvent des Dominicaines. Il y révèle son talent de défenseur de l’Art en général. C’est lui qui fera revenir au musée le « Retable d’Issenheim » chef d’œuvre absolu de Matthias Grünewald ainsi que les peintures de Schongauer que les allemands avaient déménagé à Munich.
Dans l’entre-deux-guerres, Jean-Jacques Waltz éprouve les plus grandes difficultés à exister. La renommée de l’oncle Hansi était forte en France mais les alsaciens n’aiment pas son extrémisme à vouloir changer une culture millénaire que même Louis XIV n’avait pas voulu bousculer. Il publie un dernier livre « La merveilleuse histoire du bon Saint-Florentin d’Alsace » où il s’obstine encore à faire la leçon aux Alsaciens : « Aimez ce qui vient du royaume de France, apprenez la langue de France … le destin de l’Alsace est de faire partie d’un royaume de France uni par les mêmes lois, soudé par la même langue pour résister aux grouillantes peuplades des forêts de Germanie … » !
Jean-Jacques Waltz jette ses dernières forces dans le débat politique en multipliant les déclarations provocatrices, billets mordants, libelles anonymes qui récoltent autant de réactions cinglantes.
Les Allemands, eux, ne l’oublieront pas lorsque qu’en 1940, la Gestapo envoie des hommes de main à Agen, où Jean-Jacques Waltz s’était réfugié. Ils vont le tabasser et le laisser pour mort dans un caniveau. Il mettra deux mois pour se rétablir et fuit ensuite en Suisse pour le restant de la guerre.
Jean-Jacques Waltz ne revient à Colmar qu’en juin 1946, vieilli et malade. N’ayant aucune ressource, il se remet au travail : il peint des dessins publicitaires et crée des enseignes. Mais la fin de sa vie va être misérable et il meurt le 10 juin 1951 dans le plus grand dénuement.
Tomi Ungerer, en 1989, écriera : « Hansi, lui, n’a vécu que devant un seul horizon, d’un bleu troufionné, stérilisé, fictionné d’un arc-en-ciel tricolore… Le talent de Hansi est indiscutable, d’imagiste, paysagiste et surtout de satiriste. C’est à juste titre que son ouvrage « Professor Knatschké » a été reçu comme une satire réussie, un acte de résistance à l’encontre du pangermanisme 1900 et ses dangereuses ambitions. C’est dans cette veine-là qu’il aurait dû poursuivre. Dommage que Hansi ait choisi le « Paradis tricolore » c’est-à-dire une éthique à l’opposé de ses premiers travaux. La fidélité à la France, dans cette vision « tricolore », est une fidélité fanatique, qui pense le monde en des blocs séparés où ni la variété ni le mélange n’ont de place ». Tomi Ungerer fustige surtout le fanatisme de Hansi lorsqu’il utilise les enfants : « J'ai été élevé dans le monde antigermanique de l'Oncle Hansi, jusqu'à ce que je me rende compte que c'était un salaud qui enseignait la haine aux enfants » (propos quelque peu excessif qui ne tiennent peut-être pas compte du contexte de l'époque).
Les dessins de Hansi, si reconnaissables, vont faire naître autant de décors pour toute sorte d’objets qui vont être fabriqués et proposés aux nombreux touristes qui visitent l’Alsace depuis un siècle (services de table, tasses, verres, serviettes ...)
Deux musées « Hansi » entretiennent sa mémoire, l’un à Colmar, 28 rue des Têtes, l’autre à Riquewihr rue du Général de Gaulle.
Hansi, patriote alsacien français - Grande Guerre : territoriaux bretons et normands du 87 DIT
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