Brunon d'EGUISHEIM, le pape alsacien

          La famille des comtes Eberhard du Nordgau (actuel Bas Rhin), descendant du duc Aldaric, ont eu une influence considérable dans la gestion de leurs territoires et de toute la plaine d'Alsace. 
          Le plus connu et le plus puissant, Hugues IV (975-1048), réside au château d’Egisheim (au sud-ouest de Colmar) et est marié à Heilwige de Dachsbourg, héritière du comté de Dabo (près de Saverne). Ce Hughes est le cousin germain de l’empereur du Saint-Empire germanique, Konrad II le salique. C’est dire que la puissance de la famille est immense.

         Le cadet, Brunon, né le 1er juin 1002, au château, est destiné à la prêtrise. C'est évidemment la position sociale de ses parents qui vont être déterminant pour son avenir. A l’âge de cinq ans, il est confié à Berthold, l’évêque de Toul qui comprend vite qu’il a affaire à un enfant brillant. A 15 ans, il est le chanoine de la cathédrale de Toul. En 1024, Brunon est envoyé à la cour de l’empereur Konrad II à Mayence qui a de grandes ambitions pour lui et où on le surnomme, Brunon le bon. En 1026, lorsque l’évêque de Toul décède, Brunon est nommé à sa place par l'empereur. Il a 22 ans ! Il exerce magistralement cette fonction pendant 20 ans. Sage et aimant son prochain, il impose à son entourage et lui-même un train de vie humble et pieux et se comporte en moine bénédictin. Il assainit les finances de l’évêché et de ses abbayes. Sa notoriété dépasse largement les frontières du Saint-Empire.

          En 1046, l'empereur Henri II, fils de Conrad II et arrière cousin de Brunon est obligé d'aller rétablir l'ordre en Italie avec une grosse armée. Il y avait alors trois papes qui se disputaient le pouvoir. Il les dépose tous les trois et fait nommer l'évêque de Bamberg qui est empoisonné 6 mois plus tard. Il fait encore nommer Damase II qui ne survit que 24 jours. Les italiens semblant réfractaires à l'autoritarisme allemand, l'empereur veut maintenant placer un de ses proches par la ruse. Il demande à Brunon, compte tenu de sa réputation, d'aller à Rome et de demander aux romains s'ils veulent bien de lui comme nouveau pape. 

         Brunon commence par refuser prétextant être trop jeune. Il pense surtout que ce poste est beaucoup trop dangereux vu que les 2 précédents ont été empoisonnés ! Mais il se rend finalement à Rome où il est intronisé le 12 février 1049, à 47 ans, sous le nom de Léon IX. Il commence par s’entourer d’hommes de confiance, de réformateurs pour remettre de l’ordre au sein de l’Eglise qui est ruinée. Il va alors faire preuve d'une force de caractère extraordinaire et s'attaquer aux vices qui minent toute la Chrétienté. Estimant que la dérive de l’Eglise est dû au fait que c’est le pouvoir laïc (l’empereur) qui nomme les évêques, non pas en fonction de leur piété, mais des avantages matériels que cela peut procurer, il veut révolutionner l’équilibre des pouvoirs au sein de la chrétienté !
           Dès avril 1049, Léon IX réunit un concile à Rome qui condamne la simonie (l'achat ou la vente de biens spirituels, de sacrements, de postes ou de services) et le nicolaïsme (le commerce sexuel, le concubinage ou le mariage des prêtres). Il exige la démission des évêques qui n'ont pas été élus régulièrement. Pour restaurer les finances mises à mal par ses prédécesseurs, il institue la Dîme, une taxe de 10% sur tous les revenus des paysans et des artisans. Autant dire qu'il ne plaisante pas et entend rétablir les fondements du Christianisme. Il quitte Rome pour faire appliquer ses réformes et réalise, rien qu’en 1049, 3000 kms à cheval, en se rendant successivement à Pavie, Cologne, Toul, Reims et Mayence pour y convoquer conciles et sinodes. Il revient dans son Alsace natal pour se recueillir sur la tombe de ses parents qui viennent de décéder et sont inhumés à l’abbaye d’Altorf, près de Molsheim. 
 

          En 1050, il commence par organiser la défense du duché de Naples sans cesse attaquée par les normands avant de revenir en Alsace, à Ehnheim (Obernai). Il fait signer "la Trève de Dieu" aux seigneurs locaux, consacre la cathédrale de Strasbourg et les chapeles d'Avolsheim et d'Ottmarsheim. Il grimpe le Mont Sainte-Odile, se recueille sur la tombe d’Odile et la canonise le 14 décembre. Il consacre encore l’église de Saint-Pierre le jeune à Strasbourg et canonise Richarde d'Andlau. 

            Il parcourt ensuite la Bourgogne, la Lorraine, l'Alsace, la Rhénanie. En 1051, il réunit un concile à Rome, après Pâques, qui décide entre autres que les femmes qui se prostituent à des prêtres seront adjugées comme esclaves au palais de Latran !

         Mais le problème de la Sicile l’obsède car les normands ont maintenant envahi les Pouilles et y massacrent à tout va la population. Il demande de l’aide à l’empereur Henri III (son arrière-cousin) mais c’est l’Alsace et le duché de Souabe qui lui fournissent un gros contingent de chevaliers. En mai 1053, il se met à la tête d’une armée de mercenaires composés d’italiens, de grecs et d’allemands. Mais, le 18 juin 1053 à Civitella, la cavalerie normande bat successivement les différentes composantes adverses et taille en pièces les chevaliers allemands qui se battent bravement mais se font tuer jusqu’au dernier. Brunon est horrifié : quelques 700 chevaliers  alsaciens et rhénans sont morts dont Rodolphe d’Altenburg, un ancêtre des Habsbourg. Brunon est fait prisonnier à Bénévent en Campanie. Il est libéré, en mars 1054, malade et très abattu après avoir reconnu les possessions normandes. Léon IX meurt à la Basilique Saint-Pierre à Rome le 19 avril 1054, des suites de sa captivité à 52 ans.

         Léon IX est canonisé en 1087 par le pape Victor III. Sa fête est célébrée traditionnellement le jour de l'anniversaire de sa mort terrestre (dite « Naissance au Ciel ») le 19 avril. Son corps repose à la basilique Saint-Pierre. En Lorraine et en Alsace, de nombreuses églises lui sont consacrées notamment à Dabo, Nancy, Strasbourg et Eguisheim.

          Bruno d'Eguisheim aura surtout pris une initiative qui va mettre à feu et à sang toute l’Europe ! Il veut que le Pape se situe au-dessus de l’autorité des rois et empereurs et ainsi nommer les évêques à leur place. Ses successeurs vont reprendre à leur compte cette prétention ce qui entraînera la « guerre des investitures » pendant 200 ans que subiront surtout les villageois attachés à vie aux soubresauts de l’histoire.