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Histoires et Lieux d'Alsace

Augustin GUNTZER d'Obernai et la guerre de Trente ans

Ave Maria dit de Giulio Caccini (1551-1618) par Vladimir Vavilov (1925-1973), interprété par Elina Garanca et le Deutsche Radio Philharmonie Saarbrücken, dirigé par Karel Mark

Augustin GUNTZER d'Obernai et la guerre de Trente ans

             L’Alsace va être prise en otage et sa population massacrée dans un conflit qui voit son origine dans l’entêtement d’un Habsbourg d’Autriche à vouloir imposer la religion catholique aux Ducs protestants de l’Empire (notamment de la vallée du Rhin). Charles Quint avait signé en 1555 la paix d’Augsbourg qui permettait à chaque Prince de l’Empire de choisir sa religion qui devait être suivie par tous ses sujets. Mais le parti catholique ne l’entend pas de cette oreille. Ferdinand II de Habsbourg va, en accédant au titre d’empereur, plonger toute l’Europe dans une horrible guerre, la fameuse guerre de Trente ans, inconnue des Français, qui va faire 5 millions de morts. 5 millions principalement en Allemagne pour un désaccord religieux !! Ce sera pire pour l’Alsace, car la guerre de Trente ans ne va pas durer 30 ans mais 60 ans et coûtera la vie à la moitié de sa population !!

             Le mardi 4 mai 1596, Agnesa Güntzer met au monde à Obernai un petit garçon qu’elle prénomme Augustin. Les Güntzer sont une famille d’artisans-potiers, ils vivent aisément de leur commerce et de la petite ferme qu’ils entretiennent toujours. C’est une vie de travail où chacun fait ce qu’il a à faire pour transmettre à ses enfants de quoi réaliser sa propre vie. Le grand-père avait choisi la religion calviniste en protestation à l’arrogance et aux privilèges des prélats catholiques. Augustin est donc élevé sévèrement dans la religion calviniste. Il est timide et craintif à une époque où les tendres n’ont pas la vie facile. Enfant, il a déjà peur de la mort. Il se voit mourir et enterré par ses sœurs. Il se réfugie dans l’austérité de la religion et s’en remet à Dieu pour qu’il le sauve du péché et de la fureur des hommes. Mélancolique, il comprend très tôt la sauvagerie de ses contemporains et « s’isole dans la prière pour se sauver de la tentation ». A neuf ans, un catholique tente de le noyer dans la rivière l’Ehn. A onze ans, deux jeunes curés l’enferment pour l’obliger à se convertir. Cela va durcir son caractère vis-à-vis de ceux qu’il appellera dorénavant « les papistes ». Dans l’atelier de son père, il apprend à faire fondre l’étain, à couler et réaliser vaisselle et pots utilisés dans les cuisines. Il a une enfance heureuse, grimpe sur la colline pour apercevoir la Forêt-Noire et court la campagne aux alentours. A treize ans, son père l’envoie à Baccarat, en Lorraine, apprendre le français (car en Alsace, on ne parle que le dialecte alsacien), où il est encore obligé de se battre contre les garçons catholiques. Après un an, son père lui demande de revenir au chevet de sa chère maman, Agnesa. A trente-neuf ans, la pauvre est tombée malade. Il arrive malheureusement trop tard à Obernai et ne reverra pas sa tendre maman ! Avec ses huit frères et sœurs, il doit maintenant s’occuper des tâches ménagères, nourrir les bêtes et travailler aux champs. Il est souvent malade et est très mal soigné. Pour prier, comme il n’y a pas d’église calviniste à Obernai, la famille Güntzer attend le dimanche après-midi pour pouvoir aller à pied à Barr. Le différend religieux est à son paroxysme et semble insoluble. 
Les calvinistes refusent notamment d’absorber l’hostie au cours de la Sainte Cène ; pour eux le corps du Christ doit être absorbé spirituellement.

            Il entre en apprentissage chez son père pendant trois ans et en 1615, très fier, il est reçu compagnon dans la corporation des potiers d’étain de Strasbourg. Ses parrains viennent de Nuremberg, de Heidelberg et même de Dantzig ! La cérémonie rituelle du baptême lui coûte 10 florins (300 euros) et se termine à l’auberge. Ce sont des moments de fête où les compagnons très liés entre eux font bombance. Sa destinée semble assurée car il reprendra un jour l’atelier du père et du grand-père.
 

Augustin GUNTZER d'Obernai et la guerre de Trente ans

             En attendant, à dix-neuf ans, Augustin doit entreprendre, comme c’est l’usage, un voyage de compagnon. Pendant quatre ans, il va joyeusement à la découverte du monde. Il parcourt l’Allemagne et l’Italie, réalisant 10 000 km à pied, dormant dans des auberges peu sûres (il a 12 florins sur lui soit 400 euros ce qui est une petite fortune et emporte une arquebuse). Il travaille et en contre-partie il est nourri et logé à chaque étape. Il met 41 jours pour faire les 1000 km jusqu’à Vienne et échappe à des brigands de « grands chemins ». A Vienne, il travaille pendant 36 semaines et manque de se noyer dans le Danube.  « Cette année-là, en 1616, la nourriture était bon marché ; deux pigeons rôtis coûtaient 3 kreutzers (6 deniers ou 2 euros), une miche de pain blanc 1,5 denier, un mass de bière blanche 2 deniers (un mass = 1,9 litre) »

             Il quitte Vienne « gai et plein d’allant » avec 25 florins en poche et prend la direction de Prague où il voit l’empereur Mathias 1er de Habsbourg et son épouse Anne à l’église du château. Il est obligé de s’enfuir car son chapeau de protestant l’a trahi. Il séjourne ensuite 15 jours à Leipzig, 24 semaines à Nuremberg (où il est empoisonné par un aubergiste), puis encore 15 jours à Munich et Salzbourg. En juin 1617, il veut traverser les Dolomites au col du Grossglockner (où l’un de ses guides meurt de froid à 2500 mètres d’altitude) mais revient à Klagenfurt (où il reste un an). 

             En juin 1618, il traverse les Alpes vers Ljubjana (où il y a la guerre), puis Trieste (où il rencontre un loup), Venise et Padoue. En Italie, il se fait voler une partie de sa bourse et faillit se faire violer. Il découvre enfin Rome (et les mœurs des « papistes » qu’il déteste), Sienne, Florence et Mantoue. Il remonte par Trento, Bolzano, traverse les Dolomites toujours à pied par le col du Brenner avant Innsbruck, puis Kempten, Zurich et Bâle. Augustin rentre à Obernai le 22 juin 1619 après quatre années d’absence. Il entreprend alors l’écriture d’un journal où il relate tous les comptes et faits dont il pense devoir un jour rendre compte. Il ne sait pas qu’il vient de vivre les quatre plus belles années de sa vie.

Augustin GUNTZER d'Obernai et la guerre de Trente ans

             En 1608, les princes protestants de Germanie avaient formé l’Union Evangélique que dirige le duc Palatin de Heidelberg, Fréderic IV de Wittelsbach. Strasbourg, Wissembourg, et Landau adhèrent rapidement à la religion protestante.
Le conflit s’enflamme en Bohème lors de la défenestration de Prague, en 1618, où les protestants de Bohème jettent deux conseillers de l’empereur par la fenêtre pour un problème de succession. A Vienne, Ferdinand II de Habsbourg succède, à quarante ans, à son cousin Matthias qui n’a pas d’enfants. Pas de chance pour les protestants, car Ferdinand est d’une autre trempe que son cousin. Il n’accepte pas ce crime de lèse-majesté. Il convoque la « Sainte-Ligue » à Prague qui condamne, le 21 juin 1621, 27 nobles de Bohème à la décapitation. Le nouvel empereur des Romains rétablit à son profit le féodalisme et s’empare des biens des nobles condamnés. 

 

Ferdinand II de Habsbourg, roi de Bohème et empereur du Saint Empire Germanique

Ferdinand II de Habsbourg, roi de Bohème et empereur du Saint Empire Germanique

             Pendant ce temps, Augustin revient à la vie normale et travaille avec son père mais l’ambiance n’y est plus : « Mes grossiers compagnons m’ont obligé à boire copieusement nuit et jour, d’être grossier. Ils voulaient que je m’accouple avec une femme. Nous nous battions à coups de poings et de couteaux. Je ne pensais qu’à repartir dans les pays du soleil de minuit ». Son père veut qu’il se marie et reste à Obernai. Mais Augustin n’a qu’une seule idée en tête, repartir, retrouver la liberté ! Il se dispute sans arrêt avec son père qui, conscient des dangers, ne veut pas qu’il quitte le village et le menace même de son épée quand il lui réclame une part de l’héritage de sa mère. 

            Notre obstiné jeune-homme repart le 3 mai 1620 et prend la route de Luxembourg en passant par la Lorraine où les paysans, le prenant pour un soldat, veulent le tuer (peut-être pour ne pas lui payer la taxe de passage qu’ils doivent payer aux compagnons) ! Cette fois, il dort dans les granges car son père ne lui a pas donné d’argent. Il visite Bruxelles, Amsterdam, Hambourg au nord de la Germanie, Gdansk en Pologne, Vilnius aux pays Baltes, Riga en Lettonie, puis Copenhague au Danemark où il rencontre le roi Christian IV qui lui demande : « Quelle est la situation en Allemagne ! » (Ce dernier envahira, en mai 1625, le nord de l’Allemagne à la tête d’une armée de 20 000 danois). Augustin rencontre aussi d’autres compagnons de voyage avec lesquels il partage les duretés de la vie. Il traverse ensuite la Mer du Nord pour Londres et Douvres en Angleterre. Il s’en revient par Dieppe, Paris (où des soldats catholiques veulent le tuer), Lyon (où il manque encore d’être assassiné), enfin Lausanne et Bâle. 

              A la faim, au froid, aux mauvaises rencontres, il a dû maintenant affronter les haines entre les communautés et se garder des exactions des mercenaires, des brigands et des vauriens en tout genre qui peuplent les routes. « Le Diable me suppliciait jour et nuit m’intimant l’ordre de fréquenter les prostituées ou en me suggérant de mettre fin à mes jours ! Il s’attaqua encore à mon corps qui se couvrit d’ulcères et de pustules purulentes ; j’étais atteint par le mal des Français (la syphilis) ; finalement, je me réjouis de mourir et d’être délivré de cette misérable vie de péché. » Il a plusieurs fois les membres gelés et ne travaille que 45 semaines car on le chasse souvent comme étranger. Ce 2ème voyage de 72 semaines et 8000 km l’éprouve tellement qu’il lui fait passer l’envie d’en faire un autre. 

             À son retour le 8 décembre 1621, il retrouve toute sa famille en bonne santé. Mais les tensions entre communautés sont exacerbées et la ville d’Obernai a promulgué une loi interdisant aux protestants de se marier !  Ce détail va changer à jamais la vie de notre Augustin. Il n’est pas question pour lui de renier sa religion pour épouser celle des papistes. A vingt-cinq ans, il lui faut partir et il décide de rejoindre Colmar où son cousin commande la milice. 
 

Colmar en 1626

Colmar en 1626

             Augustin est à peine parti, un certain Mansfeld, l’un des généraux de l’électeur Palatin du Rhin, protestant, a envahi la plaine d’Alsace. Il pille sans distinction les villages catholiques et protestants. Il s’installe le 2 juillet 1622 à Niedernai avec ses 40 000 hommes et fait le siège d’Obernai qui résiste pendant 3 jours. Il réclame 30 000 miches de pain et 100 000 reichsthaler (environ 5 millions d’euros). Le 7 juillet, la ville capitule et ne peut verser que 30 000 thaler. La petite ville est pillée, Etienne Reichardt, le maire, est emmené en otage et ne reviendra jamais. 

           L’historien Laguille témoigne : « La ville d’Oberehnheim (Obernai) ayant voulu résister, Mansfeld y fit mener du Canon et la contraignit de lui payer cent mille Richedalles pour se racheter du pillage. Andlau et Enheim furent plus maltraitées. Après qu’on les eut pillées, on y mit le feu sous prétexte que les habitants avaient tenu sur le comte de Mansfeld d’insolents discours. Ceux de Rosheim ayant été accusés de même d’avoir dit que Mansfeld était un bâtard, furent si barbarement punis qu’on les fit tous passer au fil de l’épée, sans distinction d’âge, ni de sexe : on n’épargna pas même les enfants qui étaient au berceau. Et après avoir enlevé tout ce qu’on put de cette misérable ville, on mit le feu partout. » La ville d’Obernai prend alors des mesures radicales : reconstruction des remparts, achats d’armes, recrutements d’hommes d’armes et expulsion des protestants. Le père d’Augustin est chassé, s’exile à Mittelbergheim avec ses autres enfants et perd sa poterie avec tous ses biens ! Les malheurs vont se succéder à un rythme infernal. 

             Pendant ce temps, notre Augustin est à l’abri derrière les murailles de Colmar : « Je travaillais dix mois en tant que garde du corps de mon cousin, Daniel Birr, qui commandait 300 lansquenets. J’étais logé et nourri et touchais une solde de 8 florins (250 euros) par mois. »
             Lassé de cette morne occupation, il s’achète un cheval et part pour Strasbourg, qui est protestante, où il se fait engager comme artilleur : 
« J’étais nourri et logé, je percevais un salaire d’un demi-thaler la semaine (30 euros)… J’appris l’artillerie en tirant avec de gros canons et à fabriquer toutes sortes de feux d’artifice. J’étais joyeux et bien disposé ... Je fabriquai un feu d’artifice, l’emmenai à Colmar où je le tirai ! »

            Ses parents colmariens (son cousin Birr est entre-temps devenu Stettmeister (maire) de Colmar, le convainquent de se marier et lui présentent un excellent « parti » : « le 1er juin 1623, j’achetais le droit de bourgeoisie pour 8 ducats d’or (400 euros). Le 8, je me fiançais avec Maria Göcklin, veuve de feu Martin Schick, vigneron, et me mariais le 29 juin. J’avais 27 ans et la femme 38 ans. Elle avait quatre enfants, deux fils, nommés Martin et Nicolaus, et deux filles, nommées Catherina et Maria … Seigneur, je te prie de nous accorder ton aide paternelle afin que nous puissions subvenir à nos besoins. Ne nous donne pas trop, afin que nous ne devenions ni fiers ni bavards ni avares, car le Diable, en présence de l’avarice tourmente beaucoup les gens. Seigneur, ne nous donne pas trop peu non plus, afin que nous ne devenions ni hargneux, ni envieux vis-à-vis des riches … protège-nous de la gourmandise et de l’ivrognerie … de l’hypocrisie et des bavardages. Donne-moi encore la sagesse … En cette année 1623, j’étais joyeux et plein d’entrain pour gérer notre ménage au mieux afin de faire fructifier les biens du patrimoine et les transmettre à mes enfants. Bien qu’elle m’ait  apporté environ 10.000 livres de biens (des terres viticoles notamment), ceux-ci appartiennent à ses enfants du 1er lit et je n’en ai que l’usufruit ». 
 

Colmar, quai de la poissonnerie

Colmar, quai de la poissonnerie

             Cette année-là, l’empereur catholique de Vienne a rassemblé une armée de 120 000 hommes qui remporte une série de victoires et contrôle le sud et l’ouest de l’Allemagne. Le principe est alors que « la guerre doit financer la guerre ». Des aventuriers sans scrupules se mettent à la disposition des Princes et empruntent de l’argent à des financiers sans scrupules pour engager des mercenaires qui vont rançonner les villes et villages qu’ils traversent. C’est un vrai business lucratif qui permet de faire des fortunes colossales pour le plus grand malheur des populations désemparées. 

            En France, Louis XIII et Richelieu se battent au sud contre l’Espagne de Philippe IV (arrière-petit-fils de Charles-Quint) et au nord contre les Espagnols de Belgique. Concernant l’Allemagne, dans son « Avis donné au Roi », Richelieu développe la stratégie française en expliquant : «  qu’il fallait s’avancer, si possible, jusqu’à Strasbourg, pour acquérir une entrée en l’Allemagne », avant d’ajouter sournoisement … « ce qu’il faut faire avec beaucoup de temps, grande discrétion et une douce et couverte conduite » ! 

          Richelieu (le très catholique premier ministre de Louis XIII), va donc agir dans l’ombre et profiter de la guerre en Germanie pour saper la puissance des Habsbourg tout aussi catholique (l’ennemi historique). Il veut arracher l’Alsace à l’Empire pour desserrer l’étau des territoires des Habsbourg qui encerclent la France. Il promet 6 millions de livres (soit l’équivalent de 350 millions d’euros !) au Roi de Suède, Gustave Adolphe, (qui est protestant !) pour qu’il envahisse l'empire germanique. Gustave Adolphe, grand chef de guerre, ne va pas laisser passer l’occasion. Officiellement, il veut défendre la cause des princes protestants et occupe l’Empire germanique en quelques semaines. 
 

Gustave-Adolphe roi de Suède

Gustave-Adolphe roi de Suède

             En mars 1624, Maria Güntzer accouche, pour la onzième fois, d’une fille, Agnesa. Augustin est heureux et fier : « Elle est de nature colérique, chaude, sèche et humide » ! En avril, meurt la petite Maria âgée de quatre ans. En 1625, Augustin devient maître des banquets de sa corporation. En janvier 1626, Maria met encore au monde une petite Barbara. Augustin est aux anges : « Elle est de nature sanguine, chaude, humide et aérée ! ». Augustin est élu intendant de la poêle (comptable) mais il tombe malade ce qui l’empêche de travailler la moitié de l’année. La même année, à Barr, meurt sa sœur Anna de la peste. En 1627, Augustin, prudent ou prévoyant les évènements à venir, se rend à Bâle par la poste chez son cousin Sébastian Güntzer. « J’y portais mes meilleures lettres de change, bijoux et argenterie afin de les mettre en dépôt ». (La Suisse est déjà le coffre-fort de l’Europe !) 

             En février 1628, le commissaire d’Augsbourg prévient la ville de Colmar qu’elle sera occupée si elle n’accepte pas de revenir à la religion catholique. Les bourgeois papistes de Colmar annoncent alors aux protestants que s’ils n’adoptent pas la religion catholique, ils devront, avec femme et enfants, quitter la ville dans les six mois. Le 14 avril, Maria accouche une nouvelle fois d’un fils, Augustin, qui ne vivra qu’un an. La famille de Maria la supplie de se renier pour rester à Colmar. Mais elle veut suivre son mari qui ne veut pas en entendre parler : « Bien des papistes me haïssaient car j’avais empêché maintes personnes de se convertir. Ils attendaient l’occasion de me faire humilier par le bourreau. ».

             En juin, Augustin rachète le droit de rétractation à la ville de Colmar et paye le droit de bourgeoisie à Strasbourg : « Le 20 juin, mon déménagement se fit sur 4 voitures et une charrette jusqu’à Illhäusern où nous avons remonté l’Ill jusqu’à Strasbourg. Ce déménagement me revient à 65 florins. Arrivant à Strasbourg, avec ma femme et mes cinq enfants, nous trouvâmes une pauvre maison et ma femme se mit à pleurer au souvenir des biens et de la belle maison qu’elle avait laissé derrière elle. Les pertes totales subies s’élèvent à 1000 florins !» Il exagère surement car il devra plus tard rendre des comptes à ses beaux-enfants. « La maison est froide et humide, nous toussions tant et avions la peau si irritée que nous pensions en mourir » Malade, il ne peut travailler. Ils vivent chichement des rentes de Maria. Le manque de travail, la cherté du temps causent bien des soucis à notre jeune couple. Ils tombent souvent malades et le désespoir les gagne. Les enfants du premier mariage de Maria se disputent avec Augustin et retournent à Colmar où ils abjurent la religion protestante. Mais notre Augustin est têtu comme une mule et ne se reniera pas.
             A Strasbourg, en 1631, le Magistrat, sous la menace, rompt sa neutralité, ouvre son pont sur le Rhin, prête ses mercenaires et son artillerie à Gustave Adolphe, le roi de Suède. Il lui octroie même un prêt de 50 000 florins ! 
             Le maréchal suédois Gustave Horn décide de commencer par la prise d’Obernai (encore !). Le 6 septembre 1632, son armée se présente devant les murs et, cette fois, le nouveau maire de la ville fait ouvrir les portes et paye la rançon demandée. 
Les Suédois envahissent toute la plaine, prennent et pillent ensuite Erstein, Benfeld. Sélestat, Ensisheim, Thann, Rouffach, Belfort et Colmar. En fait, toute l’Alsace est entre leurs mains, sauf Saverne et Strasbourg. Ils imposent partout la religion protestante. Les villageois paniqués affluent par milliers à Bâle et Mulhouse.

             Augustin, écrit en 1632 : « L’envie me prit d’intégrer l’armée suédoise afin de l’aider à conquérir les villes des papistes en particulier Obernai et Colmar qui m’avaient chassé » Il hait ces catholiques arrogants, idolâtres et leur avidité. N’ayant plus d’argent, Il travaille pendant deux mois aux fortifications de Kehl : « Nous expédions tous les jours des munitions à l’armée qui devaient servir à conquérir les villes. J’ai moi-même aidé à couler six fois cent mille balles de mousquet pour l’armée. Mes commandants m’ordonnèrent de me rendre à Offenbourg et à Benfeld avec un mortier afin d’aider à investir ces villes. » 
« Le 29 septembre 1631, mourut de la peste à Colmar ma belle-fille Catherina à l’âge de 22 ans ». La même année ses deux sœurs Apollonia et Catherina meurent également de la peste à Mittelbergheim. Toute la famille est malade. En février 1632, son beau-fils Nicolaus meurt à 9 ans d’une phtisie pulmonaire. 

            En août, Maria, sa chère femme décède, à quarante-sept ans, d’une attaque cérébrale peut-être due à la répétition des malheurs et des décès. C’est l’horreur pour notre Augustin ! Il n’aura vécu que neuf ans de bonheur avec sa Maria et ne retrouvera jamais une femme pour soulager sa triste existence. En janvier 1633, les paysans du Sundgau qui n’en peuvent plus des exactions, se révoltent et massacrent quelques garnisons. La répression est terrible et 4000 d’entre eux se font massacrer près de Blotzheim par les Suédois. 

les pendus de Hersingue

les pendus de Hersingue

             En octobre 1633, ce sont les espagnols catholiques qui chassent les suédois et occupent la Haute-Alsace. Mais Colmar fait appel à la protection de la France et est repris par les armées protestantes, Augustin y retourne avec ses filles, Agnesa et Barbara qui ont neuf et sept ans. 
Il doit à nouveau payer le droit à renonciation du titre de bourgeois de Strasbourg, avant de reprêter serment de bourgeoisie à Colmar. « Toutes ses poursuites me coûtèrent au total la somme de 2199 florins, 5 schilling et 4 deniers ». N’ayant pas d’autres possibilités, il s’engage encore dans la milice, est affecté au bastion Sainte-Catherine où il sert les grosses pièces d’artillerie. Mais il doit se battre avec les mousquetaires cantonnés dans la maison de Maria pour le partage du pain et des violences faites à ses filles. « Une grande famine sévissait partout en Alsace ; elle dura environ un an et nous frappa durement, moi et mes enfants. ». Les soldats welches qu’il héberge lui vole son vin, en vendent une partie, lui mangent ses poules et le chassent de sa maison ! Les autorités de la ville lui promettent de lever son obligation d’hébergement s’il s’engage dans la milice en le payant 3 florins de solde par mois (100 euros) !

             Les années 1634 à 1640 sont les pires pour l’Alsace, période pendant laquelle la sinistre trilogie Guerre-Famine-Épidémie va sévir implacablement. Troupes impériales, suédoises, espagnoles, françaises et lorraines s’installent dans la plaine dans un indescriptible enchevêtrement. Quelques dizaines d’hommes tiennent tel village ou château, tandis que quelques dizaines d’autres d’un parti adverse tiennent le bourg ou le château voisin.
En 1634, la roue tourne, le roi de Suède Gustave Adolphe a été tué à Lützen et les suédois sont encore battus par les impériaux catholiques en septembre à Nördlingen. Le cardinal Richelieu va devoir sortir de l’ombre et envoie pour la première fois des soldats français en Alsace. Il nomme pour cela Henri de la Tour d’Auvergne « Turenne », vingt-trois ans, qui est protestant, au grade de colonel, à la tête d’un régiment. Celui-ci s’étant déjà fait remarquer sur divers champs de bataille va s’avérer un chef de génie et accomplira les dessins de Richelieu au-delà de ses espérances !

             Les Français occupent en 1634 toutes les villes et villages (sauf Benfeld) pris par les Suédois en promettant leur retour à l’empire après la guerre. La suite des évènements le démontrera. Turenne s’empare de Saverne en 1636 et de Breisach, forteresse stratégique où se trouve le 3ème pont sur le Rhin, en 1638. (Les deux autres ponts sont à Strasbourg et Bâle).
En même temps, Richelieu avance encore de l’argent à Bernard de Saxe-Weimar qui commande ce qu’il reste de l’armée suédoise, lui promettant même l’Alsace en récompense pour essayer d’inverser le cours de l’histoire ! Ce Bernard, cadet de famille, se voyant déjà Prince, envahit à nouveau la province si convoitée. En 1636, le gouverneur de Benfeld, renforcés par des contingents français fait encore le siège d’Obernai, au nom du duc de Saxe-Weimar. La ville, qui n’est plus qu’un monceau de ruines, a perdu la moitié de sa population qui est livrée à la misère. Elle doit encore payer des contributions de guerre. De Saxe-Weimar s’empare ensuite d’Ensisheim, de Laufenbourg, de Rheinfelden et Fribourg puis récupère la forteresse de Breisach. Il meurt mystérieusement en 1639. Richelieu, jamais en manque de ressources, envoie alors le duc de Longueville qui reprend Breisach et s’y installe. Les français ont ainsi mis la main sur l’essentiel de la plaine en ayant payé le prix mais sans avoir versé de sang français. C’est ça la réal-politique !

             Le pasteur de Jebsheim écriera dans ses chroniques : « On ne peut pas décrire et nos descendants ne pourront que difficilement le croire, quelles plaintes, quelles peines terribles et quelles plaies ont été envoyés et répandus sur les hommes par la colère de Dieu dans cette noble et auparavant si merveilleuse région ». 

             La plaine reste déserte et sauvage, inhabitée et en ruines, de 1634 à 1641. Une terrible famine s’installe, si bien que ... « la plupart des survivants dans le Sundgau, près de Haguenau et dans d’autres endroits, entre autres à Brisach assiégée, on ne se contentait plus de dépecer les morts, mais on s’attaquait aux voyageurs, aux étrangers même aux familiers et quand on pouvait s’en emparer, on les étranglait, on les cuisait et on les mangeait » … !!
Le Magistrat de Mulhouse confirme : « ils dévorent leurs compatriotes morts, les malheureuses mères tuent leurs propres enfants … » 

Augustin GUNTZER d'Obernai et la guerre de Trente ans

             En 1642, Augustin démissionne de la Milice et remet en état ses vignes. Mais c’est un travail colossal car tous les « échalas » (poteaux en bois) ont été volés. Il doit en racheter plus de 6000. « Pendant ces années-là, ma seule nourriture était un morceau de pain par jour et un verre de mauvais vin. Pendant sept ans, je ne pus dormir la nuit à cause des soucis, de la peur et de la détresse. Je souffris jour et nuit de nombreuses maladies. La tristesse d’avoir perdu ma femme me fit perdre mon allure, mes cheveux blanchirent, je devins vieux et décharné. ». Il exècre également l’intolérance et la haine de ses coreligionnaires luthériens qui lui inspire : « Cette vie terrestre me dégoûte et me déplait de sorte que j’éprouve une grande joie en pensant à la vie future, joyeuse et sainte. »

             Richelieu meurt en 1642 et Louis XIII en 1643. Le jeune Louis XIV a cinq ans. C’est la reine-mère, Anne d’Autriche, qui devient régente et dirige la politique de la France avec un jeune ministre, Giulio Mazzarini, nommé par Richelieu avant sa mort. Mazarin va continuer l’œuvre de son bienfaiteur avec tant d’intelligence qu’il va même conquérir le cœur de la, encore jeune, reine de France.

             Les deux parties, exsangues, décident de négocier sans rien lâcher. Il en résulte un traité signé à Münster (près de Dortmund) en 1648 qui doit mettre fin à cette horrible guerre de Trente ans (1618-1648) mais qui, en fait, est d’une telle ambiguïté et mauvaise foi que la guerre va recommencer pour dépecer cette fois-ci l’Alsace. 

            Dans la plaine d'Alsace, 50% des maisons sont détruites ! des villages entiers ont disparu avec ses habitants. La moitié de la population a été tuée dans les campagnes. Il n’y a plus de vaches, ni chèvres. Les vignes ont été arrachées, les arbres fruitiers coupés. Dans le Sundgau, il n’y a que 8 curés sur 75 qui ont survécu au massacre. En 1651, l’hiver est particulièrement rigoureux. Les loups surgissent, attaquent les villageois dans la plaine et repeuplent les terres abandonnées par les hommes. 

            Augustin a tout tenté pour sauver ses vignes et ses biens. Il n’a plus d’énergie pour écrire. En 1653, à bout de forces, il jette l’éponge et se réfugie avec deux charrettes à Bâle « pour être délivré de ses persécuteurs ». Il est ruiné et trouve un logement pour un loyer de 8 florins par an ! Il survit comme confiseur et marchand ambulant avec son gendre Abraham et ses filles grâce à l’argent qu’il avait déposé en 1627. Souffrant de terribles maux physiques et mentaux résultant de tant d’épreuves, il meurt épuisé en 1657 à l'âge de 61 ans : « J’écris les évènements afin que mes enfants, après ma mort, sachent quelle a été ma misérable vie sur terre, pleine de crainte et de détresse. » Malgré les vicissitudes et la perte de tous ses biens, de son statut social et de sa famille, il n’a jamais renoncé à sa foi. Son histoire est celle du combat d’un homme animé par une foi indéfectible avec les aléas d’une horrible guerre décidée par les puissants. 

D’après le livre de Monique Debus-Kehr, qui a traduit « L’histoire de toute ma vie » d’Augustin Güntzer. Editions Honoré Champion Paris, 2010
 

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