13 Juin 2020
En 1659, Louis XIV a 21 ans. Il offre à son premier ministre Mazarin le comté de Ferrette, les seigneuries de Belfort, Delle, Thann, d’Altkirch et d’Issenheim, qu’il a arrachées aux Habsbourg, en reconnaissance des services rendus par le ministre à la France ! L’habile cardinal n’en profitera guère car il meurt en 1661 et ne viendra jamais en Alsace. Mais son héritage va avoir des répercussions terribles sur la ville.
Haguenau, à 30 km au nord de Strasbourg, est l’ancienne cité impériale des Hohenstaufen. Le château impérial trône toujours sur une île de la Moder qui coule au milieu de la ville et de ses remparts. C’est une merveille d’architecture romane.
Fondé par Frédéric II, duc de Souabe et d'Alsace, entre 1115 et 1130, le château fort puis palais était également nommé Pfalz (maison du gouvernement). C'était la résidence de prédilection de la famille Hohenstaufen. La chapelle palatine, fut construite en 1170, sous Frédéric Ier, empereur, elle comprenait 3 niveaux et une tour-chœur octogonale. En 1193, Richard Cœur-de-Lion fut jugé devant le tribunal impérial présidé par l’empereur Henri VI de Hohenstaufen (qui fait treize séjours à Haguenau). Le roi anglais fut libéré contre une rançon de 24 millions de deniers d’argent (l’équivalent de 36 tonnes d’argent). L'édifice devient la propriété des baillis, au 14ème siècle
Le cardinal Mazarin lègue sa fortune, ses titres et ses biens au mari de sa nièce, Hortense Mancini, Armand-Charles de La Porte de La Meilleraye, deuxième duc de La Meilleraye, duc de Mayenne qui devient duc de Mazarin (belle promotion avec belle dot). Il devient ainsi le Gouverneur d’Alsace et grand bailli du roi de France à Haguenau.
En décembre 1672, Armand Charles vient visiter ses terres et faire un peu de tourisme en Alsace. Il s’installe tout naturellement comme un roi dans le palais impérial à Haguenau. Dans la journée, il part visiter en grand équipage ses différentes possessions.
Le 12 décembre au soir, Armand-Charles rentre tard. Or, les portes de la ville sont comme toujours fermées à six heures du soir. Le Duc veut qu’on lui ouvre les portes : refus des gardiens ! Le ton monte et Melchior Reiff, le chef des gardiens, ameute la population et menace de tuer celui qui apporterait les clefs (on ne transige pas avec les règles en Alsace).
Le maire organise alors une consultation auprès des 13 bourgeois présents qui se prononcent contre l’ouverture de la porte. Le Duc, très énervé, doit passer la nuit glaciale dans un hangar. Le lendemain, Melchior Reiff, moins sûr de lui, s’enfuit avec son frère David dans la forêt proche. Il va dans cette immense forêt de 60000 hectares rassembler les contestataires de la politique française. Ils vont dresser régulièrement pendant sept ans des embuscades aux soldats français et en tuent quelques-uns. Ils bénéficient de la connivence des habitants pas mécontents d’avoir un Robin des bois dans leur forêt.
Le Roi-Soleil nomme le baron Joseph de Montclar pour remplacer Turenne, tué par un boulet à Saspach, au poste de commandant militaire sur le Rhin. Ce dernier reçoit la lettre suivante du ministre Louvois : « L’intention de Sa Majesté est que cette place soit rasée le plutôt possible que faire se pourra … Elle trouve bon que pendant les deux ou trois derniers jours que ses troupes demeureront à Haguenau, vous avertissiez les habitants de s’en retirer avec les meubles afin de leur causer moins de préjudices en brûlant entièrement la ville. Il sera bien que vous fassiez cela de manière qu’il ne paraisse pas que vous en ayez reçu l’ordre mais que vous ayez pris ce parti de vous-même …. » (inouï !)
C’est ainsi qu’en janvier 1677, Montclar s’acharne avec plus de 3000 sapeurs et artificiers à démolir pierre par pierre le château impérial, ses 48 tours et les remparts de la ville. Il met ensuite le feu à toute la ville à part les églises, couvents et quelques maisons appartenant à des bourgeois ayant payé une « rançon » ! Cela va provoquer la colère des habitants qui rejoignent notre Robin des Bois dans la forêt et qui élisent même un contre-gouvernement. Ils reprennent leurs coups de main contre les soldats français.
Le 22 juillet 1677, en libérant deux prisonniers, les deux frères Reiff tuent un lieutenant de l’armée du Roi et blessent grièvement plusieurs soldats. Cela va déclencher une nouvelle expédition en septembre où 300 hommes réduisent ce qui reste de la ville en cendres et chassent les Haguenoviens en leur interdisant « d’y jamais revenir » !!
Mais en juillet 1678, Montclar autorise les rescapés à reconstruire leurs maisons pour arrêter le soutien aux insurgés de la forêt qui narguent toujours les autorités françaises.
Dans la forêt de Haguenau, nos deux frères Reiff finissent par se faire prendre le 20 octobre 1679. Melchior avoue tout ce qu’on veut sous la torture. Il est condamné à mort pour assassinats, rébellion, perturbation de l’ordre public, incitation à la révolte, braconnage, vols. Il est pendu le 16 décembre. Son frère David aura plus de chance et ne sera que banni comme les deux enfants de Melchior. Le souvenir de Melchior sera régulièrement ravivé par les indépendantistes à venir.
La pauvre ville de Haguenau, elle, ne retrouvera jamais son lustre d’antan.