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Histoires et Lieux d'Alsace

Louis XIV s’empare de l’Alsace

Louis XIV en 1674 par René-Antoine HOUASSE

Louis XIV en 1674 par René-Antoine HOUASSE

             Mazarin, le premier ministre du jeune Louis XIV, a rendu fous les représentants de Ferdinand III, l’empereur germanique pour la négociation du traité de Westphalie signé à Münster en 1648 tant ce dernier est alambiqué. Le texte est flou, ambigu et équivoque. Il prévoit que l’empereur habsbourgeois donne au roi de France ses possessions personnelles en Haute-Alsace (Haut-Rhin) avec Ensisheim et Brisach (place forte de l’autre côté du Rhin). Le Roi de France devient le Landgrave (gouverneur) de la Basse-Alsace (titre qui n’existe plus depuis longtemps pour le Bas-Rhin), l’empereur restant le suzerain !! Les dix villes de la Décapole restent, elles, attachées à l’empire !! C’est insensé, ingérable et prouve la mauvaise foi de Mazarin.

             En 1662, Louis XIV a 24 ans et décide de s’occuper en personne du problème alsacien. Il veut la plaine et le Rhin pour frontière. Il fera tout pour l’obtenir. Il veut soumettre les dix villes de la Décapole qui ne veulent pas perdre leurs libertés, ce que l’on peut aisément comprendre. Il veut aussi empêcher les Habsbourg d’avoir des velléités de revanche quant à l’Alsace. 
La guerre de trente ans ne s’arrêtera donc pas pour l’Alsace en 1648 mais durera encore 33 ans !

 

Mazarin et Anne d'Autriche régente et mère de Louis XIV

Mazarin et Anne d'Autriche régente et mère de Louis XIV

             En août 1673, le Roi de France se rend à Brisach (Vieux-Brisach) pour visiter sa place forte sur le Rhin. Cette forteresse, située en face de Colmar de l'autre côté du Rhin, protège le seul pont sur l'impétueux fleuve (l’autre pont est à Strasbourg qui est encore une ville libre). Le lundi 28 août, le ministre Louvois arrive devant Colmar et demande à la ville d’enlever ses canons pour ne pas irriter le Roi-Soleil lors de son passage. Le magistrat sort à la rencontre du ministre français pour le saluer. A ce moment-là, le marquis de Coulanges et 500 cavaliers pénètrent par la porte de Deinheim et s’emparent de la ville. Les Colmariens surpris se sont fait berner. Désarmés, ils sont outrés et humiliés de s’entendre dire que leurs murailles vont être détruites.  Il faudra 4000 hommes pour les abattre. « Elle est maintenant ouverte comme un village, la vieille cité » dira le peintre Walter. « Cette belle ville de Colmar a été arrangée de telle façon qu’on ne puisse plus la reconnaitre », dit Odile Kammerer.

La place forte de Brisach sur le Rhin au 17ème siècle

La place forte de Brisach sur le Rhin au 17ème siècle

              A part Strasbourg qu’on laisse provisoirement accrochée à sa neutralité, les 8 autres villes de la Décapole subissent un sort identique les jours suivants (Haguenau,  Kaysersberg, Munster, Turckeim, Sélestat, Wissembourg, Obernai et Rosheim). L'Alsace est quasiment occupée par les troupes françaises.
             Le 28 août 1673, l’empereur Léopold 1er estimant le traité rompu, rassemble 35000 hommes qu’il envoie au-devant de l’armée française. Ils pénètrent en Alsace par le pont de Strasbourg. Le 4 octobre, Français et Impériaux se livrent une furieuse bataille à Entzheim. Le maréchal de France, Turenne, se retire en Lorraine par le Kochersberg et le col de Saverne. 
             Le 14 octobre l'armée Brandebourgeoise, forte de 22 000 hommes, rejoint l'armée Impériale sous les murs de Strasbourg. Toute l'Alsace est à nouveau occupée mais cette fois-ci par les Impériaux germaniques. Pour rendre la vie encore plus insupportable, une terrible épidémie de peste suivie d’une horrible famine ravagent la plaine d’Alsace en décembre. Comme à chaque campagne, c’est la population qu’on saigne à blanc.
             Le 28 décembre 1674, Turenne, qui a contourné l'Alsace par les Vosges, revient et débouche, par le col de Bussang, dans le Sundgau et reprend Belfort et Mulhouse. Totalement surpris, les Impériaux décampent et remontent sur Colmar où viennent les rejoindre les Brandebourgeois pour barrer la route aux Français. 
             Le 5 janvier 1675, Turenne, entreprend une manœuvre des plus audacieuses en faisant passer dans la neige 13000 hommes par les collines du Brand et attaque les coalisés, sur leur flanc, à Turckheim. Ils se heurtent aux villageois qui défendent la ville et refusent de leur ouvrir les portes. Les Français prennent d’assaut les remparts et bousculent ensuite les Impériaux. Turenne remporte à Turckheim une victoire éclatante. Les forces ennemies s’enfuient en laissant 300 morts et 3000 prisonniers et repassent le Rhin. En représailles le brillant maréchal de France livre la ville à ses soldats et leur donne quartier libre ! Pendant deux semaines c’est un massacre. Les femmes sont violées, éventrées, les hommes qui résistent tués, les enfants ne sont pas épargnés, les maisons sont brûlées. On estime que 300 personnes périrent ainsi dans l’indifférence générale. Scène de guerre banale ? Peut-être. Mais les Alsaciens auront du mal à accepter l’obélisque à la gloire de Turenne, élevée dans la ville-même de Turckheim en 1939 par le général Weygang, chef d’état-major de l’armée française, qui aura le culot de dire, évoquant Turenne : « Sa vie est un hymne à la louange de l’Humanité » !

 

Henri de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, maréchal de France

Henri de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, maréchal de France

             Turenne reprend encore Brisach et détruit les dernières garnisons impériales en Alsace. Le 22 mai, il offre la réconciliation à Strasbourg sous condition de sa neutralité et demande la mise à disposition du pont pour franchir le Rhin. Strasbourg refuse. Turenne fait alors jeter un pont de bateaux sur le fleuve à hauteur de Plobsheim. Le 27 juillet 1675, après avoir pénétré en Bade, en réalisant une reconnaissance près de Salzbach,.il est tué par un boulet tiré d’un canon ennemi. L'armée française reflue en Alsace et attend les renforts de Condé. Le 14 août, Strasbourg rompt sa neutralité et permet aux Impériaux de repasser en Alsace par son pont. 
 Chronique de Jean-Jacques Walter de Strasbourg, faisant état de la situation de l’Alsace en 1676 : « Pendant que les Impériaux occupaient le haut pays, près de Bâle, les Français étaient de nouveau les maîtres de nos environs. On ne voyait par tout le pays que meurtres et pillages de la part des maraudeurs, ces fils de Satan qui volaient tout le monde […] Au commencement du mois de novembre, il advint un froid si vif et si persistant que le 17 de ce mois, tous les cours d’eau et le Rhin lui-même furent gelés. La contrée tout autour de la ville était remplie de Français qui y avaient leurs quartiers d’hiver. Dieu ait pitié des pauvres gens, qui sont déjà ruinées… »

            La plaine est plus désolée qu’aux heures les plus sombres de la guerre de Trente ans. Strasbourg, à l’abri de ses remparts, résiste encore et le 11 août 1678, dans un ultime soubresaut, réaffirme son alliance avec l’Empereur autrichien !
Le 5 février 1679, les deux pays épuisés signent la paix de Nimègue pour mettre fin à cette horrible guerre qui laisse l’Alsace exsangue.
           En août 1680, Le Conseil Souverain d'Alsace réuni à Breisach entérine la "Réunion" de l'Alsace à la France, hormis Strasbourg et Mulhouse, et interdit à quiconque de disputer à la couronne de France la propriété de tous les fiefs, domaines, villes ou villages situés entre Vosges et Rhin. 
             Louis XIV, ne tiendra pas compte de ce qu’il a signé. Il décide de revenir en personne pour finir le travail et fait assiéger Strasbourg. Son ministre Louvois à la tête d’une armée de 30 000 hommes adresse un ultimatum au conseil municipal strasbourgeois, le 29 Septembre 1681, qui capitule le lendemain. Les 400 canons sur les remparts ne tireront pas et finiront « prise de guerre ». Le roi de France vient goûter sa victoire avec sa cour le 23 octobre. Louvois fait venir des paysans catholiques en nombre du Kochersberg voisin pour acclamer leur nouveau roi. Le Roi-Soleil assiste à un Te Deum à la cathédrale célébré par le nouvel évêque qu’il a nommé François Egon de Fürstenberg. Les Strasbourgeois, protestants, sont effondrés et meurtris par la perte de leur souveraineté et de leur cathédrale. 

 

Louis XIV recevant les clefs de Strasbourg en 1681 par Constantjin Francken

Louis XIV recevant les clefs de Strasbourg en 1681 par Constantjin Francken

             S’schoene elsass esch tot ! (C’en est fini de la belle Alsace !)                  Après 800 ans en Germanie, l’Alsace est annexée et la République de Strasbourg perd sa liberté.
La moitié des habitants ont perdu la vie ! Le sort des survivants est pire car on leur a tout volé ou tout détruit. Maintenant on leur prend aussi la langue et, pour ceux qui avaient mis leurs espoirs dans la nouvelle religion, on va les obliger à redevenir de bons catholiques ! 
La guerre entre catholiques et protestants aura fait plusieurs millions de morts en Europe, et environ 200 000 en Alsace, c’est dire que les différentes conceptions de la religion et de la vie étaient inconciliables. Notre société européenne aurait été très différente de celle que nous connaissons si les protestants avaient gagné cette maudite guerre mais nous serions restés allemands ! 

             Louis XIV ne s’arrête pas là. Il envoit ensuite son armée ravager le Palatinat et la vallée du Rhin en 1688 et 1689. Il veut dissuader les Habsbourg de toute velléité de récupération de l’Alsace en détruisant toutes les villes et châteaux qui permettraient d’organiser une campagne militaire. Louvois occupe Mayence, Heidelberg, Frankenthal, Spire, Worms… Mais comme il ne peut garder ses positions, il décide de dévaster entièrement le Palatinat. Il ordonne au même Montclar qui avait quelque expérience en la matière de « ravager toutes les places du Haut Neckar pour que les ennemis ne trouvent ni fourrages, ni provisions, ni logement. »
 

             Montclar, qu’on a déjà vu à l’œuvre à Haguenau) ne se fait pas prier et, en janvier 1689, détruit Mannheim, Heidelberg, Spire, Worms et Oppenheim, se livrant partout à du pillage et à des massacres des paysans allemands. On peut comprendre la haine qu’éprouvèrent les Allemands de Rhénanie à l’égard des Français après cette dévastation qui ne pouvait qu’exacerber des populations déjà bien éprouvées par cette sinistre guerre.
A Strasbourg, la bourgeoisie accepte mal la nouvelle autorité royale. Plus de trois cents familles quittent la ville dès la capitulation, au point que le préteur royal doit imposer une taxe, entièrement contraire aux clauses du traité, sur la fortune des partants. Strasbourg perd beaucoup de ses cadres, juristes, professeurs, employés, commerçants, allergiques à l’ordre français.
             L’administration royale française se met donc en place dans une région dévastée et dépeuplée et appelle à une immigration importante. Louis XIV a installé son intendant, Colbert de Croissy, à Ensisheim à la place de la régence habsbourgeoise. Celui-ci préside le Conseil souverain d’Alsace qui doit être une cour de justice mais qui interprète surtout les articles équivoques du traité de Westphalie dans le sens des intérêts français.
             Louis XIV donne les terres inexploitées à de nombreux migrants venus de Suisse, d’Allemagne et de Bourgogne. On promet également des exemptions fiscales aux nouveaux venus à condition qu’ils retravaillent les terres ruinées. La paix favorise le développement économique et l’Alsace redevient progressivement ce merveilleux jardin qu’elle avait été. Pour la question religieuse, les autorités n’emploierons jamais la force pour convertir les protestants mais userons plutôt de mesures fiscales convaincantes (en 1700, un cinquième des habitants est catholique ; ils représenteront la moitié de la population en 1789).
           L’action des gouverneurs de Broglie, de Coigny ou de Contades contribue à introduire les mœurs françaises dans la vie culturelle et sociale. Evidemment la noblesse d’Alsace se rallie plus facilement à eux tant qu’on ne touche pas à leurs privilèges et s’engagent dans le métier des armes et de la diplomatie.

             Il faut être assuré que si Louis XIV ne s'était pas entêté à ce point, l'Alsace serait toujours allemande. La culture de ce côté-ci du Rhin est la même que celle qui existe encore de Bâle à Cologne.
 

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